vendredi 3 août 2007

Les écrans envahissent la vie des enfants

Nous vous invitons à lire cet article du Figaro écrit à la suite du Colloque Enfants et Ecrans.

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jeudi 2 août 2007

Actes complets du colloque Enfants et Ecrans


Les actes complets du colloque "Enfants et écrans" ont été découpé suivant les quatre Tables Rondes qui ont animées le colloque, modérées par Anne Gintzburger.





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Présentation PPT du colloque Enfants et Ecrans

Le bilan du Colloque "Enfants-Ecrans : qui dévore qui ?", tenu en 2007.

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Vous pouvez accéder aux Actes complets du Colloque.


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mercredi 1 août 2007

Clôture du colloque par Xavier Darcos


- Xavier Darcos : "Mesdames et messieurs, d'abord, je vous remercie de m'avoir invité. Je voulais remercier les responsables de la chaîne, et tous ceux qui ont contribué à ce colloque. Evidemment, c'est un peu artificiel d'arriver à la fin d’un colloque qu’on n’a pas entendu, et de surcroît d'essayer d'en tirer des conclusions. Je vous prie de m'excuser de cette situation, qui n'est pas très pédagogique. C'est très mal pour un ministre de l'Education nationale. Mais c'est aussi l'occasion de faire un petit tour d’horizon sur ces problèmes, qui sont très importants pour les éducateurs d'aujourd'hui et qui, à quelque niveau que ce soit, suscitent des débats :

nous l'avons vu tout à l'heure, avec cette collègue universitaire, qui parlait de la recherche que les étudiants font aujourd'hui. J'étais moi-même il y a encore peu de temps professeur associé dans une université, nous étions surpris en lisant les thèses de voir qu'en prenant une phrase d'une thèse, on arrive à retrouver des pages entières de documents sur lesquels cette thèse avait été littéralement recopiée. C'est un nouveau dispositif de recherche qui fait qu’on peut faire du copier/coller partout. Revenons à la question posée ici. Je voudrais d'abord rappeler que si je suis invité ici, c'est aussi sur une invitation d'une amie, qui est Isabelle Juppé, qui nous avait sollicités, et je suis très heureux de la retrouver ici.

J'imagine que les approches ont été diverses. Il y a le point de vue des utilisateurs, des sociologues, des parents, des techniciens... Pour moi-même, la parole des techniciens est une parole que je dois aussi décrypter : elle est parfois pour moi un peu interactive. Ce que je constate, c'est que cette question, qui était relativement étroite il y a encore quatre ou cinq ans, qui était plutôt réservée à des spécialistes : quand vous parliez de tableau interactif, cela restait limité ; aujourd'hui elle est sur le devant de la scène, elle est largement débattue, elle est dans les magazines, dans les documents pédagogiques, dans les discussions mêmes que nous avons avec nos collègues. C'est devenu une traversée des chemins de toutes les questions scolaires. Donc il est bien légitime que votre chaîne se soit posé cette question.

Quelques remarques : d'abord ce que nous savons, en tout cas ce que nous croyons, nous éducateurs, c'est que la consommation télévisuelle est précoce, qu’elle est lourde, et qu'elle est passive. C'est l’impression que nous avons. Lorsque nous regardons les chiffres sur les tout petits-enfants, très tôt, entre 2 et 5 ans, nous sommes déjà dans des chiffres qui avoisinent 2 à 3 heures de télévision par jour, étant entendu que ces enfants dorment beaucoup, c'est donc une occupation très importante dans la journée. Ce qui nous frappe tous, mais je le répète, je ne suis pas un spécialiste, c'est qu'ils voient des choses, ils voient plutôt des choses qui leur sont destinées, des chaînes pour enfants, mais en même temps ils voient des choses où le virtuel et le réel se mélangent beaucoup. L'une des difficultés que nous avons continuellement, que nous retrouverons peut-être dans ces propos, c'est ce départ, ce partage entre le réel et le virtuel, que nous allons retrouver de manière obsédante au fur et à mesure que les enfants grandissent. C'est sans aucun doute de nature, pour les collégiens et notamment qui sont dans les collèges difficiles, à profondément perturber le rapport au savoir. Car zappant, indifféremment, ils ne savent plus très bien, en circulant dans ces images, si c'est du vrai ou si c'est du faux, si c'est de l'invention, de l'actualité, de la reconstitution, du live ou pas... Cette confusion par rapport à la véridiction, par rapport au vrai, est évidemment le contraire de l'acte pédagogique, qui lui espère toujours être dans le vrai. Dès lors, la télévision est un peu comme l'imagination chez Pascal, elle est d'autant plus fausse qu'elle ne l'est pas toujours, elle est d’autant plus dangereuse qu’elle est souvent vraie. Le décryptage, le partage entre le virtuel et le réel, est une question que se posent tous nos collègues, en particulier au collège.

Revenons aux petits-enfants. Fréquentation rapide, fréquentation lourde, fréquentation passive… Est-ce que c'est un danger ? Comment faut-il faire ? Quelle attitude devons-nous avoir pour les plus petits ? On imagine généralement que vis-à-vis de cette question, il y a toujours deux approches : une approche morale et traditionnelle, qui dit que ce serait mieux que ces enfants soient dans une relation interpersonnelle avec leurs parents ou avec d’autres, plutôt qu’être posés devant la télé. C'est vrai aussi, et c'est souvent dit par les parents qui sont eux-mêmes des consommateurs effrénés de télévision : il y a un double langage des adultes vis-à-vis de cela que les enfants décryptent très rapidement. Et puis il y a un autre langage, qui me paraît le plus réaliste, qui consiste à dire : oui, c'est comme ça. Il faut donc très tôt que ce qui pourrait être un inconvénient ou un danger devienne tout au contraire un des moyens de la culture, un des moyens de l'apprentissage. Il faut sans aucun doute accompagner, dès les tout premiers mois, dès que l'enfant est devant ces outils, il faut l'accompagner pour en être maître, pour le regarder, pour le décrypter. Au fond, en rappelant ces deux approches traditionnelles, on voit que la problématique n'est pas si différente pour les tout-petits, qu'elle ne l'est pour les adultes ou les jeunes adultes. Dans les deux cas, l’école, et si je puis dire l’école avec un grand E, a toujours été dans une situation ambiguë, une situation de dénonciation vis-à-vis des médias : c'est abrutissant, c'est idiot, c'est la Star Ac’ et tout ce que l’on voudra... Et puis il y a une autre attitude qui consiste à dire, en même temps, c’est là, il faut qu'on travaille avec. Ce double jeu est absolument constant.

Deuxième remarque, la télévision n'est plus la télévision. Ce que nous constatons, y compris dans nos études statistiques, c'est qu'on disait autrefois qu'un adolescent de 14 ou 15 ans passait quatre heures et demie devant la télévision, encore le faisait-il en zappant de manière indifférenciée, en regardant tout et n'importe quoi. Aujourd'hui, ce chiffre est moins vrai : il passe moins de temps devant la télévision, parce que ce temps est concurrencé par l'ordinateur. Donc il y a un usage nouveau, une relation nouvelle. Lorsqu'on va un peu plus loin que l'adolescence, chez les jeunes adultes, on découvre qu'ils sont assez tôt utilisateurs de blogs, etc... J'ai récemment déjeuné avec le directeur de Skyrock, il me parlait du nombre de blogs qui s'ouvrent et se ferment tous les jours : le chiffre est proprement effrayant, je l’ai oublié, mais il était énorme ; j'avais peine à le croire. Ils sont utilisateurs, avec leur orthographe d’ailleurs, leur culture, leur rapport au réel, peu importe, mais il y a des usages nouveaux. Ces usages nouveaux, ce sont aussi des consoles de jeux, des ordinateurs, des sites pour multimédia, des téléphones portables qui sont finalement des terminaux de tout ce qu'on voudra. Dans quelques mois, nous savons tous qu'avec les i-phone, chaque personne sera un terminal d'Internet : il pourra avoir des films, des informations, communiquer, faire de la photo... Il n'est pas invraisemblable de croire que ce sera le cas de beaucoup de nos élèves. Lorsqu'on voit le nombre d'élèves qui ont déjà un téléphone portable, qui fait photo, qui permet d'ailleurs de photographier de la violence urbaine comme ils le font, comme vous le savez, dans ce qu’ils appellent curieusement le « happy slapping », qui n’a rien de « happy » mais qui est un « slapping », nous voyons très bien que tous ces outils seront très vite dans les mains de nos jeunes. Nous aurons des usages nouveaux, vis-à-vis desquels nous ne pourrons pas faire comme si l'école de l'ardoise et de la craie et des blouses grises était la seule réponse possible. Nous ne pourrons pas dire cela.

De même, non seulement il y a des outils nouveaux et des usages nouveaux, mais il y a du coup une consommation nouvelle : les pratiques changent. Les pratiques changent de telle manière qu'il y a concurrence par rapport à la culture scolaire. L'une des raisons pour lesquelles, en particulier, nous avons beaucoup de mal à défendre la culture scolaire classique, dans le domaine de l'écriture, dans le domaine de la lecture, du texte bien formé, de la copie qu'on rend bien propre, ce n'est pas seulement parce que les élèves sont devenus subitement les ennemis de l'orthographe et de l'écriture, c'est que dans la vie courante, plus personne ne se sert de cela. Les adultes qui demandent aux élèves d’écrire et de bien écrire, on constatera qu’eux-mêmes ont très peu l'occasion d'écrire. Nous sommes dans une société qui fait des prescriptions à l'école, dont elle se dispense elle-même : ponctualité, orthographe, écriture, lecture de beaux textes, savoirs inutiles... Donc, cette prescription qu'on a sur l'école, et que l'école elle-même a, elle est concurrencée par ces nouveaux dispositifs. Nous tous, lorsque nous envoyons un message ou un SMS, nous utilisons une orthographe rapide, simplifiée, voire phonétique. Nous ne nous rendons pas compte que pour autant nous demandons à nos enfants d'écrire suivant une orthographe classique. Il y a donc en effet concurrence, double langage dans une certaine mesure. L'école, elle est encore dans une sorte de rôle de réaction, de réactivité, peut-être même réactionnaire diraient certains, nécessaire dans certaine mesure, d’éviter que le poids didactique de ces outils ne pèse trop au point de venir concurrencer ce qui est son idéologie, ce qui est son espérance de communication.

J'ajoute à cela que beaucoup d’éducateurs trouvent non seulement que ces outils sont des concurrents par rapport aux savoirs scolaires, et dans une certaine mesure des ennemis des savoirs scolaires, mais aussi que la consommation de jeux vidéo, la navigation sur Internet, démultiplient des risques de surconsommation, d'énervement, de violence, de pornographie, et il n'est pas niable que dans l'utilisation d'Internet comme capteur d'images, ce que nous savons, c'est qu'il y a en effet quelque chose d'un peu brutal dans ce dispositif. Nous ne devons pas sous-estimer, comme éducateurs, les risques qui y sont attachés. Nous avons très souvent, nous avons beaucoup de signalements d’incidents dans les établissements, qui sont liés à leur source par une étiologie compliquée, qui sont liés tout de même à l'utilisation de l'Internet. Des jeunes qui récupèrent des images sur leur portable et qui les montrent, le « happy slapping » dont je parlais tout à l'heure, l'utilisation d'images brutales, de jeux vidéo échangés, de dispositifs de cet ordre qui sont dangereux pour les plus faibles de nos élèves, les plus désarmés.

Enfin, troisième concurrence : on n'a pas besoin d'aller à l'école pour savoir. Quel n'a pas été mon étonnement… Je réponds à Monsieur Verdier qui disait qu’il n’était pas certain que la mise en place de dispositifs d'accompagnement éducatif en fin de journée au collège, empêche le consumérisme des parents, si j'ai bien compris : j'espère qu'il a tort ! Quelle n'a pas été ma surprise de voir que lorsque nous mettons en place des dispositifs d'accompagnement éducatif, non seulement cela marche très bien, tout le monde le prend, mais il y a même des professeurs qui vont encore plus vite et disent : moi je vais le faire, mais je reste à la maison, je suis derrière mon ordinateur, et j'attends que vous m'appeliez. Il fait une sorte de service à domicile, payé par l’Etat en l’occurrence, pour que les élèves qui ont des difficultés appellent. Cela marche très bien. J'étais un petit peu inquiet, parce qu’à mon avis, cela va marcher si bien, qu'il y à craindre, ou à souhaiter je ne sais pas, que dans quelques années, nous payions des professeurs pour rester chez eux, pour être en quelque sorte des aiguilleurs de savoir par rapport à une demande qui sera extérieure. Je voulais rappeler ces rapports dialectiques tissés entre l'école et ces outils. Cela a toujours été le cas. Quand j'étais plus jeune, la télévision était en un instrument rudimentaire, mais on entendait des gens dire la même chose : c'était la nuit du savoir, c'était un outil décérébrant... Bref, c’était un outil dangereux. Il n'y a rien de nouveau, sinon qu'au fur et à mesure que le temps passe, la dialectique, la complexité du problème se pose de manière de plus en plus grande.

Alors, ceci étant dit, qu'est-ce que je peux proposer, comme ministre ? À dire vrai, je suis sans trop d'illusion, parce que j'ai appris un certain nombre de choses dans la vie, mais notamment qu'il n'y a aucune loi morale qui empêche des techniques de se développer. La technique sera toujours plus forte que la prescription éthique, morale, politique, que l'on pourra exercer sur elle pour essayer de la freiner. Depuis les arbalètes excommuniées, nous le savons. Nous ferons ce que nous pourrons, mais nous n'encadrerons pas de manière définitive le dispositif. Qu’est-ce qu’il faut que nous fassions ? D’abord il faut que les concepteurs, les producteurs, les diffuseurs d'images, en l'occurrence Gulli par exemple, s'associent avec nous pour faire en sorte que les contenus promeuvent la réflexion, la créativité. En souhaitant cela, je ne fais qu'enfoncer les portes ouvertes, parce qu’il me semble, et il nous semble, à moi et à mon épouse qui avons un petit garçon de 7 ans qui est fort utilisateur de télévision, que ce que l'on voit est plutôt intelligemment fait, plutôt stimulant, plutôt créatif. J'ai l'impression que ce que l'on voit à la télévision, selon les âges, je ne passe pas régulièrement mon temps devant les chaînes destinées aux petits enfants, mais l'impression que j'ai en les regardant, c'est que cela va dans le sens de la découverte, c'est plutôt stimulant. Des thématiques qui sont des thématiques pour adultes apparaissent très tôt dans les préoccupations des tout petits : les problématiques d'environnement, de l’eau, du respect d'autrui, de la citoyenneté, qui traversent comme ça ces jeux ou ces exercices.

La deuxième chose que nous devons faire, c'est ce que veut faire l'école, d’ailleurs : c'est une de ses ambitions, c'est faire en sorte que les enfants fassent un usage vertueux de ces outils. Ils doivent apprendre à regarder, à analyser, à comprendre, à maîtriser les outils dont ils disposent. Voilà pourquoi nous encourageons beaucoup, j'ai ici une collaboratrice qui nous aide dans ce travail, nous encouragerons beaucoup dans les années qui viennent la mise à disposition dans les établissements du premier degré de moyens interactifs, en particulier de tableaux interactifs, qui permettent d'habituer les élèves à réagir par rapport à un écran, qui est lui-même informé par le maître, qui contient une banque de données très lourde, et qui habitue à cet usage vertueux d’une relation avec l’écran qui soit une relation de savoir. De même nous voulons encourager les visioconférences, pour l'apprentissage précoce des langues vivantes. Là aussi, se retrouver avec un interlocuteur natif, à distance, discuter avec lui, le faire par des systèmes de réponses vrai ou faux, faire une sorte de dialogue qui repose sur une formation objective, cela réconcilie ces outils et l'enseignement.

Evidemment, il faut aussi que nos partenaires, les professionnels, vous, je ne sais pas qui est dans la salle mais il doit y avoir beaucoup de professionnels, je pense qu'il faut que nous ayons une capacité à former nos propres maîtres aux médias. Nous le faisons déjà avec le CLEMI, que tout le monde doit connaître ici, nous avons un certain nombre d'actions dans ce domaine. J'ai signé une convention, il y a quelques années, quand j’étais ministre délégué à l’enseignement scolaire, avec France 5, qui contribue à promouvoir une relation exigeante entre les images et l'école. Bref, il faut que ces instruments nouveaux, les maîtres se les approprient très tôt, et qu'ils ne soient pas dépassés par la technologie nouvelle de leurs propres élèves. Car beaucoup de nos maîtres, ceux qui sont en milieu de carrière, nous disent que leurs élèves en savent plus qu'eux sur ces outils. Comment organiser un rapport pédagogique, de maître à élève, avec ces outils, si les élèves ont une meilleure maîtrise de l'outil que le professeur lui-même ? Cela complique les choses. Je rappelle que 80% de nos élèves ont un ordinateur à la maison : au point même qu'on se posait la question de savoir s'il ne vaut mieux pas aider à aller à 100%, pour nous écoles, pour qu'on puisse s'en servir carrément ! Par exemple, avoir une base de données, un peu comme Wikipédia, qui est une sorte d'auto-construction collective, mais que nous ayons une base de données dans laquelle nous mettrions le matériel didactique à disposition des parents. Mais cela supposerait, pour que les choses soient justes et équitables, qu’il faudrait que 100% des familles soient équipées. C'est une question que nous nous posons.

Il faut donc former non plus seulement nos maîtres, mais accompagner nos jeunes, il faut les obliger à se former. Voilà pourquoi, peut-être l'avez-vous évoqué dans le colloque, je m'excuse encore de méconnaître ce que vous avez dit aujourd'hui, mais nous avons décidé de créer ce qu’on appelle le B2i, le brevet informatique et Internet, qui est une compétence qu'un élève sur trois déjà obtient aujourd’hui, avant d'entrer au collège. Et surtout installer ce B2i, cette fois-ci au collège, comme élément obligatoire d'obtention du brevet. Tous les élèves, pour obtenir le brevet, seront obligés de connaître au moins comment fonctionne, fondamentalement, l'ensemble des technologies de la communication et de l'information.

Enfin, nous allons, comme je l’ai dit tout à l’heure, commencer à faire entrer les outils nouveaux, comme par exemple la visioconférence. Enfin, nous anticipons, à l'occasion d'un « marronnier » de la rentrée, qui est le poids du cartable, nous avons profité de l'occasion pour dire enfin des choses utiles à ce sujet, je crois : il faut que les livres soient plus légers, mais il faut surtout se préparer à l'idée que la meilleure façon d'alléger les cartables, c'est d'avoir dans son cartable des i-books, c'est-à-dire des documents qui permettent de contenir trente ou quarante livres. Ce sera un matériel beaucoup plus léger. On pourrait avoir un CD-ROM qui reproduira le livre lui-même. Bref, il faut aller vers ces outils-là, et nous commençons à anticiper pour ne pas être complètement dépassés si les choses s'accéléraient. Nous allons faire dès la rentrée prochaine un certain nombre d'acquisitions d'équipements à titre expérimental. Sur ces dispositifs, sur les tableaux interactifs, nous faisons une expérimentation assez lourde dès le mois de janvier 2008, pour voir comment cela fonctionne dans un certain nombre d'écoles. Sur les visioconférences, nous créons vingt sites en janvier prochain, et nous voulons porter ce dispositif à mille l’année suivante. Et sur les i-books, nous allons aussi faire un certain nombre d'expériences, de sorte qu’on va au moins mettre le pied à l'étrier, et voir si tout cela fonctionne. Si cela fonctionne, on se donnera les moyens d'équiper toutes nos écoles.

Je n'ai certainement pas dit des choses nouvelles, surtout devant des spécialistes, je vous prie de m'excuser d'avoir été le béotien qui vient amener ses remarques de pion en fin de réunion, mais je voulais que vous soyez persuadés à quel point le ministère de l’Education nationale est soucieux de deux manières vis-à-vis de ces questions : la manière classique, cette relation complexe entre savoir scolaire et outils modernes ; et la manière plus active, plus pro-active, qui est : équipons-nous, formons-nous, accompagnons, sachons, maîtrisons, formons, de sorte que cette inévitable évolution technologique se fasse dans l'intérêt de tous, et en particulier de ceux qui en ont le plus besoin, qui sont les moins accompagnés culturellement dans leur famille, les moins aptes à se mouvoir dans le monde de la culture et du savoir, ceux qui sont dans des situations les plus difficiles socialement. Car l’une des souffrances de l'école reste fondamentalement qu’elle est strictement incapable actuellement, en particulier dans le premier degré, de rompre avec l'étiologie sociale, avec le déterminisme familial : c'est évidemment une souffrance pour l'école. Je vous remercie."


- Emmanuelle Guilbart : Merci, Monsieur le ministre, pour votre intervention, à la fois complète et très pragmatique. Loin de moi l'idée de conclure cette journée qui a été très riche, juste quelques petits messages qui m'ont interpellée plus personnellement : la responsabilité de l'éditeur, la pédagogie des parents qui sont souvent un petit peu largués sur certains sujets, et aussi ce besoin d'information qui est ressorti dans la salle, de guides de cette offre pléthorique, entre les offres plus ou moins adaptées, selon quel âge, etc...

Merci à tous pour votre participation. L'évolution des équipements et des usages va continuer. Nous nous dirigeons vers un deuxième colloque, l’année prochaine, pour suivre ce qui se passe. Merci à tous. Sur l’étude, dont les premiers résultats vous ont été présentés ce matin, elle sera totalement disponible en janvier. Pour ceux que ça intéresse, n'hésitez pas à nous contacter. Merci à tous, merci à vous Monsieur le ministre.

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Bilan du Colloque
Actes complets du colloque

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Table ronde n°4 : « Multimédia : du jeu à l’enjeu éducatif »


Participants :

- Karine Leyzin, Directrice des programmes de Gulli

- Imad Bejani, Directeur des actions éducatives de France 5

- Henri Verdier, Responsable innovation et développement de Lagardère Active

Modératrice : Anne Gintzburger


La thématique de l'enjeu éducatif des jeux multimédias est développée dans un blog d'experts sur le ludo-éducatif : Les écrans ludo-éducatifs


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- A. Gintzburger : Nous allons parler maintenant d'éducation par le virtuel. Nos enfants s'amusent mais ils apprennent aussi. Ils se cultivent. Avec nous, Karine Leyzin, Imad Bejani et Henri Verdier. On va commencer avec vous, Karine : vous êtes directrice des programmes de Gulli…

- K. Leyzin : Je vais tâcher d’être brève, parce que ce qui serait bien, c’est de pouvoir poser pas mal de questions sur le sujet de la télévision que l’on a abordé en matinée. En tant que responsable d'une chaîne jeunesse je me pose beaucoup la question du rôle éducatif de la télévision au quotidien. Cela fait partie de notre charge et de notre envie quotidienne. Dans une société dont on dit qu’elle est en mal de sens, on reçoit beaucoup de critiques sur la télévision. On dit qu'elle nivelle la culture par le bas, qu’elle morcelle la pensée des enfants… Nous sommes assez loin du cas américain. J'ai été étonnée de découvrir récemment un chiffre aux Etats-Unis. Il m'a interpellé. Un jeune Américain, arrivé à l'âge de 16 ans, aura passé autant de temps devant la télé qu'à l'école. Nous n'en sommes pas là. Mais c'est important de parler de l'enjeu éducatif en télévision, et de rappeler les dangers de la télévision lorsqu'elle est regardée par les enfants à travers des programmes pour les adultes. Autre chiffre: il a été controversé, mais 70% de la consommation des enfants se fait à travers des programmes plutôt destinés à des adultes plutôt qu'à destination des enfants. Ce n'est pas leur choix, ils peuvent le regarder par défaut car ils sont amenés à le voir avec des adultes. Mais là aussi, cela nous amène beaucoup de questions. De la même façon, quand vous allez au cinéma, vous allez être ému par une histoire, par un personnage, vous allez peut-être remettre en question certaines de vos opinions ou de vos croyances. Pour un enfant, c’est la même chose.

Il est donc important aujourd'hui de se rendre compte qu'un enfant, effectivement, va apprendre par le biais de la télévision, grâce ou à cause, selon les programmes qui lui sont destinés ou pas. On dit qu'il est passif, mais il n'est pas si passif devant l'écran, car il va ressentir des émotions. Nous avons même prouvé récemment par des études scientifiques poussées que même son corps réagit. Il va passer de moments de tension à des moments de relâchement, au fur et à mesure des problématiques de l'intrigue. D'où l'une des règles que l'on se fixe dans une programmation jeunesse : nous faisons attention d'avoir un dénouement heureux. Il faut que les situations soient claires pour que l'enfant ne soit dans un état de tension après visionnage. La télé éduque, on apprend d’elle, et le rôle d'une chaîne jeunesse, c'est d'essayer d'apporter le plus possible de solutions dans le sens du développement de l'enfant. Il faut avoir un rôle éducatif. Il a plusieurs façons de le faire : il y a une éducation qui ne s'affiche pas réellement, elle passe par le biais du divertissement. Nous entendions tout à l'heure qu’il ne fallait pas que tout se passe par l'humour, c'est vrai, mais cela peut aussi passer par le biais du jeu, le magazine, le ton humoristique peut être une option intéressante. Je pense qu'il peut ouvrir l'enfant et amener plus facilement l'assimilation des connaissances. Le message passe plus facilement lorsqu’il apprend au fur et à mesure de l'intrigue, du magazine ou du jeu, qu’il acquiert des connaissances peu à peu. Il va aussi y avoir l'apprentissage plus affiché, plus pédagogique qui va se rapprocher de l'environnement scolaire. Je parle de mon expérience sur la chaîne Gulli, et de mon expérience sur le service public. Nous passons énormément de messages. Pour une chaîne comme Gulli qui a un bassin très large, c'est une très bonne chose. La gratuité va offrir une opportunité extraordinaire, de proposer différentes formes d'apprentissage. Nous n'allons pas que passer par des programmes proprement dits très éducatifs, nous allons aussi passer par du divertissement pour le faire.

- A. Gintzburger : Ce sont les valeurs qui portent le message, pas tant la nature du programme lui-même ?

- K. Leyzin : Sur les premières secondes du programme, si le dessin animé n'est pas suffisamment attractif, le message ne passera pas. On sait aussi que c'est très difficile : dans la plupart des foyers, on ne va pas se retrouver facilement avec du partage en famille. Ce n'est pas toujours facile de partager avec les enfants, de les accompagner, de prendre du recul, et de le faire le parallèle avec des programmes scolaires. Par rapport à tout cela, cela soulève la question de la responsabilité du diffuseur.

En tant que chaîne jeunesse, nous nous devons d'avoir ça dans notre ADN de chaîne. J'avais envie de vous en parler aujourd'hui, car cela fait partie de notre quotidien : nous avons des filtres automatiques qui se mettent en place, compte tenu des connaissances que l’on a pu acquérir au fur et à mesure de l’exercice de notre métier. On sait qu’un enfant de moins de 3 ans aura toujours de la difficulté à faire la différence entre l'image et son référent, et encore moins avec un personnage. Si nous prenons l'exemple de Robocop, l'enfant ne va pas penser à l'acteur qui joue Robocop mais penser que Robocop existe vraiment. C’est une problématique à laquelle nous devons faire attention, notamment à certaines heures de la journée où l’on sait que les plus petits sont avec leurs grands frères et sœurs en train de regarder l’écran, notamment le matin. Nous savons que le matin, il faut être dans la douceur et vraiment les accompagner. On sait aussi qu'il va y avoir des enfants qui vont progressivement acquérir une vraie différenciation entre la fiction et la réalité, au sens où ils abordent la question de la vraisemblance. Ils vont commencer à distinguer la vraisemblance dite réaliste, comme par exemple on voit dans une fiction un évènement qui lui paraît plausible. L'enfant pourra se dire : cela peut arriver dans la vraie vie. Et puis il y a une vraisemblance diégétique, qui va être liée au genre du programme. Lorsqu'un enfant va regarder un programme de science-fiction, s'il voit un personnage voler, il se dira que c'est normal, mais à partir de 4 ans et progressivement, il saura que ce n'est pas dans cadre de la vraie vie. Il arrive à faire cette différence. Cela met en perspective pas mal de choses, notamment par rapport à la violence. Cela n'exclut pas de se poser la question de l'influence de la fiction chez les enfants, et notamment dans le cadre de toutes les croyances, des attitudes et même les croyances morales ou sociales que cela peut déclencher dans les fictions. Dans les années 80, on a vu énormément de fictions qui mettaient en valeur l'argent et la beauté au premier plan. C'étaient des séries très glamour qui faisaient rêver. Aujourd'hui on peut se poser la question sur les stéréotypes qu'on peut véhiculer dans ces séries. Des dessins animés, on en voit fréquemment encore aujourd'hui, la mère ne travaille pas, et donc est forcément mère au foyer. Les noirs sont forcément des musiciens de rap. Nous ne sommes pas seulement dans des problématiques de la violence, mais aussi dans des problématiques d'apprentissage du sens de la télévision et de tout ce qu’elle véhicule comme croyances et comme valeurs.


Chez nous, nous faisons très attention. Pour être brève, je parlerai de ce qui nous influence dans le choix de nos programmes. Nous allons refuser tout ce qui est de l'ordre de la violence au quotidien, mais aussi les combats gratuits. Une confrontation, oui, c’est possible, parce que même dans les contes c’est quelque chose de très fréquent. Nous avons tous été construits grâce aux contes et à la confrontation du bien du mal. Mais nous allons éviter des confrontations plus violentes, avec des notions de vengeance ou de violence gratuite. Nous allons également éviter une télévision qui sera trop bruyante, un peu hyperactive, pour plutôt essayer de faire une télévision un peu « cocon » qui saura les solliciter sans les hyper-solliciter. Il faut laisser un peu de respiration.

Il y aura aussi toutes les choses que nous allons favoriser. Favoriser une structure de la narration plutôt linéaire, avec un espace temps très délimité, avec des histoires et des dénouements très clairs. Comme je le disais, l'enfant n'est pas passif. Il passe de tensions musculaires à des relâchements. C'est important aujourd'hui de proposer des dénouements heureux, où les situations sont très claires à la fin d'une série ou d'un téléfilm. L'enfant doit se retrouver dans un climat de détente à la fin du visionnage : pour nous, c'est très important. Nous fesons attention à tout ce qui est de l'ordre de l'habillage antenne : pour que l'enfant mette en place son filtre fiction, pour qu'il fasse la différence avec la réalité, c'est important d'avoir une typologie de l'image et un habillage très clair qui différencie ce qui relève du programme, de l'information, de la publicité. Cela lui permettra de décoder les images.

Globalement nous essaierons de développer l'ouverture, le respect, le civisme, la différence, des notions et des valeurs qui sont constitutives de l'enfant. A l'intérieur des programmes nous allons aussi essayer de développer ce qui est de l'ordre de l'inter-générationnel, pour partager des moments en famille, pour les inciter à mieux partager ces moments-là...

Brièvement, je vais vous montrer quelques images. Il y a trois axes importants dans une télévision à visée éducative: la première, c'est d'apprendre aux enfants. Apprendre, c'est possible de façon affichée ou non affichée. C'est possible via le divertissement, les documentaires, le jeu, l’animation, c’est possible à travers plein de thématiques. Il y a aussi tout le monde imaginaire avec les contes et légendes, les animaux, la découverte, l’environnement, la vie quotidienne de la France... Il y a énormément d'occasions d'en parler. Nous allons voir l'image d'un programme très important en matière de visée éducative. Cela traite d'un sujet qui nous concerne tous aujourd'hui: la nutrition. On le sait aujourd’hui, les spots de l’INPES ne suffiront pas, il faut qu’on ait des programmes à l’antenne qui traitent de la nutrition. Je vous propose de voir un petit extrait de « Célestin », une série lancée par France 3 et diffusée sur Gulli…


Diffusion d’un extrait de Célestin.


-K. Leyzin : C'est un exemple rapide. Ce qui est important, ce qu'il faut souligner dans cette phase éducative liée à l'apprentissage pur et dur, c'est le prolongement du Web. Le Web, sur toutes les chaînes jeunesse, prolonge l'antenne. Il est indispensable aujourd'hui de passer la vision de l'éducatif, quelque soit le programme, et comment nous pouvons aller plus loin sur le Web, approfondir les notions, proposer des environnements plus proches de Wikipédia, mais adaptés à l'enfant. Nous pouvons donner toutes sortes d'indications concrètes et d'apprentissage au-delà de l'antenne. C'est aussi une nouvelle occasion de partager avec la famille. Apprendre, comme premier postulat d'une chaîne éducative, c'est aussi s'ouvrir au monde et aux autres. C'est quelque chose qu'il faut faire de manière légère, sans culpabiliser l'enfant : on peut parler de civisme, de pleins de choses... Nous allons regarder un petit extrait représentatif de notre volonté de parler de civisme, via le problème de la non scolarisation et des problèmes que cela peut poser en société.

Diffusion d’une bande annonce « L’instit » et « Ados, le débat ».

-K. Leyzin : Voilà. Quand on parle d'apprentissage, d'ouverture ou autres, on ne peut pas oublier un dernier point fondamental, c'est d'apprendre aux enfants à agir. Il faut les inciter à avoir une véritable action dans leur quotidien. Cela pourrait les rassurer. Cela les rassurerait sur leur emprise avec le monde, leur futur, et leur capacité de construire leur avenir. On peut apprendre à économiser l'eau, apprendre des gestes de développement durable, mais aussi des gestes plus civiques. Comment donner son avis au moment des élections ? Qu’est-ce que pourrait être un monde meilleur ? C'est l'occasion de parler de thèmes comme cela pour les inciter assez tôt au civisme. Il faut qu'ils soient les acteurs de leur monde. C'est fondamental pour toutes les chaînes jeunesse de parler des droits de l'enfant. Il y a moyen de le faire de manière pudique, non culpabilisante et anxiogène pour l'enfant. Nous allons le voir à partir de ce nouvel extrait.



Diffusion d’un extrait de « Gulli Mag » sur les droits de l’enfant.



-K. Leyzin : On voit typiquement sur ce genre d'images à quel point il est important d'aller plus loin grâce au Web. Il faut être à l'écoute des enfants, lire les courriers et les réactions qu'ils peuvent avoir autour de la journée de l’enfant, ainsi que répondre à leurs questions. Il faut prendre le temps de la formation, prendre le temps de leur expliquer vraiment, et se rapprocher des contenus scolaires via le Web.



- A.Gintzburger : Vous organisez d'ailleurs, Gulli programme toute une journée, la semaine prochaine je crois…



- K. Leyzin : Toute la semaine y est consacrée, nous ne sommes pas les seuls. C’est un sujet qui mobilise touy l’univers jeunesse, ce n’est pas facile à aborder car c'est difficile d'expliquer chacun des points de la charte des droits de l’enfant à un enfant qui n'a pas été confronté à certaines scènes de violence. Mais en même temps, il y est confronté en regardant les news. Ne vaut-il pas mieux décrypter et expliquer ? Lui proposer d’aller plus loin sur le site, lui dire : « va sur le site, tu auras plus d'informations, écris-nous ». D’être vraiment dans cette interactivité et de l’amener à agir, puisqu’on donne aussi beaucoup de conseils pour les aider, et même aux jeunes : car ce sont souvent les ados qui sont dans une démarche associative. Il faut les aider même jeunes à être acteurs de leur propre monde. Effectivement nous avons un rôle éducatif qui n'est pas toujours évident. Il peut passer par le divertissement. Sur les chaînes jeunesse, nous nous posons tous la question au quotidien. Maintenant, je suis persuadée que par le biais du divertissement et par le biais de ce que l’on donne à voir, nous pouvons aussi donner à réfléchir. Cela ne peut pas se faire sans un dialogue entre télévision, foyer, et école. Les éducateurs sont très importants pour nous dans ce domaine, mais les familles également. Les deux ne sont pas toujours présents à part égale pour chaque enfant. Mais peut-être que tantôt l'un, tantôt l'autre des trois acteurs, on arrivera peut-être à avoir une activité pro-active, et pourquoi pas, essayer de sensibiliser pour faire rentrer les écrans dans les écoles…



- A.Gintzburger : Le lien est trouvé pour vous passer la parole, Imad Bejani. Vous êtes directeur des actions éducatives de France 5. Votre travail consiste à tisser des liens avec le milieu scolaire, avec les enseignants, les ados et les enfants. En quoi consiste cette passion et ce travail-là ?



- I. Bejani : Je vais procéder en 2 temps : d’abord une présentation générale de ce que nous faisons à France 5 dans le domaine éducatif, et ensuite je vais juste lancer deux problématiques.


France 5 a une particularité dans le PAF : dans notre cahier des charges et d’émissions, une des raisons de la création de la chaîne, c'est une mission éducative. Nous avons une priorité, c'est de nous adresser au monde enseignant. Il nous faut promouvoir l'éducation par l'image, par la télévision. C'est initialement le projet, le cahier des charges de la chaîne. Avec le temps, pour que les choses soient claires, sauf académisme, on peut éveiller la curiosité avec la télé, mais ce n'est pas de l'éducation. C'est important de voir cela. Ensuite, le flux n'est pas adapté pour véhiculer de l'information, donc nous nous avons opté assez tôt, chez France 5 depuis 2001, pour que les actions éducatives basculent essentiellement sur Internet. C'est beaucoup mieux adapté. L’information est résidente : on vient avec une intention, on peut être par hasard devant sa télé, mais on est n’est jamais par hasard sur Internet. C'est un schéma que la plupart des télés suivent. La BBC s'est restructurée, et l'éducation est au sein des activités interactives. Ce n'est pas à la même échelle que nous.



- A.Gintzburger : On voit bien les deux sites essentiels par lesquels on peut communiquer avec vous…



- I. Bejani : Oui, le premier site, c'est education.france5.fr, il est ouvert à tous, on parle au plus grand nombre. On passe de la télé à l'éducatif. On va faire ce prolongement des programmes dont parlait Karine. On va donner un peu plus de consistance et de mise en contexte de nos programmes. On ne cherche pas à faire de l'éducatif à l'antenne : on cherche à mettre en appétit, et ceux qui en veulent plus, en trouveront plus en allant sur ce site. Aujourd'hui, nous avons 200 000 visiteurs : pour un site spécialisé, c'est pas mal. Nous savons que les 30 millions de pages vues le sont à 2/3 par des enseignants. C'est un site qui marche bien. On réserve une part belle à l'image. Nous allons à l'avenir accentuer cette tendance. Nous produisons des vidéos qui ne vont pas à l’antenne et vont directement sur le site. On considère que c’est un usage particulier.

Le deuxième site que l’on anime, c'est un GIE : un groupement d'intérêt économique entre France 5 et le CNPD, on va dire l'Education nationale pour simplifier. C’est le Centre National de Documentation Pédagogique. Nous sommes sur une offre beaucoup plus spécialisée. On peut parler de pédagogie. On est au sein de l’établissement scolaire, et nous allons fournir un complément aux manuels scolaires. On ne va pas s'y substituer, on va ajouter de la vidéo en ligne avec les programmes scolaires. J’aurais bien voulu vous montrer des images, mais il n’y a pas de liaison internet, donc je ne peux pas vous montrer cela. Je me contente d'une copie d'écran. Vous pouvez y aller. C'est une offre qui est sur abonnement mais on peut voir pas mal de choses là-dessus.



- A.Gintzburger : On peut dire que les enseignants s'en servent en classe, ou peuvent s’en servir en classe.



- I. Bejani : Aujourd'hui sur ce site, qui bénéficie de soutien de l'Education nationale, on fait de la VOD. Xavier Darcos avait inauguré ce site-là. Je vous invite à aller le voir. Il est présent dans 3000 établissements scolaires aujourd'hui. Le taux de pénétration dans les collèges et les lycées commence à être intéressant. Nous avons essentiellement des formats courts : il y a environ 2400 séquences, reportages documentaires, magazines de 2-3 minutes. C'est du gros boulot. Les deux sites demandent un effort qui ne peut pas être accessoire pour une chaîne de télévision. Nous sommes une équipe importante, ce n'est pas deux ou trois personnes qui vont pouvoir faire ce genre de travail. Derrière, il y a toute une expertise pédagogique, on s'appuie sur des enseignants.


Je lance deux ou trois idées qui sont plus spécialisées par rapport aux débats d'aujourd'hui. Je ne sais pas si cela intéressera tout le monde. Au sein de l'Education nationale et des enseignements, on s'intéresse à ces problématiques. On peut parler de pédagogie alternative. Ce qu'on remarque, et là je suis empirique, on ne fait pas de théorie, on n’a pas fait d’études statistiquement valides : notre expérience montre qu'il y a une valeur pédagogique à l'image. C'est un complément ludique. Nous en plus, nous véhiculons l'image par Internet. Nous sommes à l’intersection de la pédagogie, de l’image et d’Internet. On aura aussi cet aspect interactif où l'élève est aussi acteur. C'est très adapté au travail hors temps scolaire. Si l'élève n'a pas compris durant la journée, ce n'est pas la peine de lui répéter la même chose le soir. On essaie de lui donner autre chose, ce qui donne un éclairage alternatif, et rend l’apprenant acteur de son apprentissage. C'est important car il y a un changement dans la hiérarchie entre l'enseignant et l'élève. L'élève prend un peu le pouvoir. Mais cela bouleverse un certain nombre de données dans la relation référent/apprenant. Cela pose un certain nombre de challenges. Notamment celui de la linéarité du savoir. Sur Internet notamment, et avec l’image, l'élève a beaucoup de connaissances. En moyenne, un élève lit cinq à dix fois plus qu'en 1950. Ce n'est donc pas vrai que les élèves lisent moins : ils lisent plus. Maintenant ils lisent des pages Web, des SMS, des blogs, etc… Il suffit d'aller sur Internet ou sur Wikipédia, et très vite, on rebondit de sujet en sujet. Ce rebond pose le problème de la linéarité et de l'homogénéité du savoir. La pédagogie, c'est tout le contraire. La pédagogie traditionnelle, c'est un parcours pédagogique. Il y a d'abord 1 puis 2 puis 3. Si on mélange cet ordre, nos enfants ont un savoir éclaté. Le challenge de l'école moderne, c'est de remettre un peu de sens dans tout cela, et d'aider les élèves à réorganiser ce savoir, qui parcelle par parcelle est valide, mais n’est pas mis en perspective. Il est donc nécessaire qu'il y ait une appropriation par l'école du Web et de l'image, car ce sont des véhicules inévitables aujourd'hui. Ils sont partout. C'est le langage privilégié de l'élève.

La deuxième problématique, c'était en filigrane dans le débat, on l'a vu dans le film qu’a passé Karine sur l'alimentation, c'est la télé qui donne des leçons. Nous évitons de le faire. On ne donne pas de leçons, on donne de la matière. Nous avons besoin de ce que l’on appelle le médiateur éducatif. Dans l'industrie du jeu, ce matin nous suggérions que l'enfant joue avec ses parents. Si j'étais adolescent, je ne voudrais pas que mes parents jouent avec moi. C'est du jeu, c'est autre chose. Dans le monde de l'éducation, et de la mise en perspective de l'intégration du savoir dans son contexte, nous avons besoin d'un médiateur éducatif. Il n'y a pas de raison que la télé, l'Internet ou les jeux vidéo détruisent l'image du référent, mais il faut qu’il soit légitime, il doit s’approprier ce langage. Nous essayons de promouvoir l'image, avec les membres du CLEMI (Centre de Liaison de l’Education aux Médias d’Informations), nous essayons de promouvoir l'appropriation par les référents que sont les enseignants, mais aussi parents et acteurs associatifs, de l’image, de l’Internet. C'est le moyen de devenir légitime. Nous trouvons que l'image est une opportunité pour l'éducation, et pour que l'élève raccroche à nouveau à l'éducation. Nous allons lui servir l'éducation dans un langage qu'il maîtrise et qu'il apprécie.



- A.Gintzburger : Merci beaucoup. Nous allons finir ce tour de table avec vous, Monsieur Henri Verdier. Vous êtes responsable innovation et développement de Lagardère Active. Pour vous, il n’y a pas suffisamment d’outils numériques pour avancer dans cette phase éducative vers les enfants. Depuis 1999, vous êtes engagé dans l’édition numérique et active. Vous avez travaillé avec l'Education nationale. Il y a une collection de trois CD-ROM qui s'appelle « La main à la pâte », sur laquelle vous avez travaillé avec l’association de Georges Charpak, prix Nobel de physique en 1992. Que pouvez-vous dire sur cette question de l'éducation par le virtuel ?

- H. Verdier : Pour commencer, je voudrais partir d'un problème simple. L'éducation et les écrans, c'est le sens commun. Tout le monde croit savoir ce que c’est, nous en avons des représentations spontanées bien ancrées. Nous avons tous été éduqués, nous avons éduqué des enfants, donc nous croyons savoir. Mais si je pouvais faire passer un seul message, je voudrais vous dire cet après-midi que c'est un peu plus compliqué, car il y a plusieurs formes d'éducation, dont l'une est l'Education nationale. Notre ministre est arrivé… Mais il y a aussi de très nombreuses formes d’écran. Si on se demande : « est-ce que les écrans permettent d'éduquer ? », on pose la mauvaise question. Si j'arrive à faire passer l’idée que c'est la société qui s'organise avec une distribution sociale des rôles pour éduquer ces dix millions d'enfants dans les familles, à l'école, dans les associations, dans le monde du travail, et qu'on utilise, et on bricole, et on fait comme on peut avec toutes sortes d'outils qui ont des points forts et des points faibles, j’aurai aidé à faire passer un message qui aidera à se poser différemment les questions. Nous parlons toujours d'éducation, mais rendez-vous compte qu’entre l'éveil que l'on donne à un petit enfant , le préscolaire et les premiers concepts qu'on transmet, l'éducation scolaire qui est la transmission du savoir disciplinaire qui structure des esprits et des modes de raisonnement, l'apprentissage d'un savoir, apprendre une langue, les messages comportementaux, la formation continue dans le monde du travail ensuite, tout ceci, ce sont des éducations. On ne va pas poser la même question pour ces différentes formes d'éducation.

De même, quand on parle des outils et des écrans, il y a tellement de sortes de produits, d’expérimentations, d'essais. Dans le métier, on parle de technologie de l'information et de la communication. Essayons de mesurer que cela veut dire trois directions, et immenses. Technologie, cela veut dire que nous avons des ordinateurs qui savent calculer, donc nous pouvons faire des simulations, des modélisations, nouer des formes d'interactions comme on l’a vu avec le jeu vidéo ; traquer un enfant, parce qu’on peut enregistrer son profil, ses points forts, ses points faibles. De l'information, cela veut dire que nous pouvons transmettre de l'information en temps réel, de l'image, de la vidéo. De la communication, cela veut dire que nous mettons des gens en réseau. Nous pouvons faire travailler à l'école ou en dehors de l'école. On peut apprendre aux élèves à faire un travail collectif, à contribuer ensemble à une encyclopédie comme Wikipédia.

Donc les écrans, ce n'est pas uniquement du jeu, une émission de télé, ou telle ou telle image qui nous vient spontanément. C'est trois directions : de l’information, de la technologie, et de la communication. Nous pouvons dire un certain nombre de choses sur ce problème. Pour commencer, le fait que la demande sociale d'éducation est quelque chose qui explose. Il faut le mesurer. A la fois par un besoin de notre société : nous entrons dans une économie de l'immatériel. L'Occident garde de plus en plus de métiers sophistiqués, et la compétition économique internationale, face à une réserve virtuellement infinie de main-d’œuvre non qualifiée, en tout cas supérieure aux besoins de consommation de nos pays, a besoin de gens instruits. Surtout les individus, pour des raisons d'épanouissement personnel et puis beaucoup par inquiétude sur l'avenir... L'éducation, c’est un point que chacun doit garder à l'esprit, c'est une compétition : compétition pour les meilleurs diplômes et pour les meilleurs emplois. Les parents ont envie de donner le meilleur à leurs enfants. Cela nous pose un problème car pendant des années, l'Education nationale garantissait l'égalité de la République. Elle donnait à chacun le même programme, la même chance. La sélection était vive. En 1950, 5% d'une classe d'âge atteignaient le niveau du baccalauréat. En 1986, 35% d'une classe d'âge. Aujourd'hui nous sommes à 70% d'une classe d'âge. Nous avons répondu à une inquiétude de la société, et à un ensemble d'autres raisons, en augmentant substantiellement l'offre de l'éducation, et donc le nombre de gens qui restent dans le système. Les familles ont besoin de différenciation, elles veulent que leurs enfants reçoivent le meilleur. Elles vont donc interroger le système en se demandant : qu'est-ce qu'on peut faire pour mon enfant ? Dans l'Education nationale, on garde des gens qu’on avait renoncé à éduquer autrefois. C'est un progrès, mais c’est des difficultés techniques considérables. A côté de l'Education nationale, il y a une explosion de solutions portées par les familles. Les chiffres sont éloquents : en moyenne, les parents passent une heure par jour à aider les enfants en primaire à faire leurs devoirs. En moyenne, un collégien sur trois se paye des cours de soutien scolaire. En moyenne, un lycéen sur deux se paie des cours de soutien scolaire. On estime que les familles françaises dépensent 2 milliards d’euros par an à s'acheter du soutien scolaire. Je crois que c'est le début de l'équation du problème.

Les écrans dans tout cela, on les sollicite dans l'Education nationale pour répondre à tous ces problèmes. Mais là encore, ce n'est pas une solution contre une autre. Ce n'est pas la télé, ou l'ordinateur, ou le jeu. Aujourd'hui, pour répondre aux différents problèmes de l’éducation, nous avons inventé des dizaines et des dizaines d'outils. Il y a des banques d'items, de vidéos structurées, des bases de données, des encyclopédies. Vous avez des sites qui donnent de l'information d'actualité, des bornes d'exercices dont certaines sont capables d'évaluer les élèves. Il y a de véritables manuels numériques et interactifs. Il y a des outils de simulation pour faire des expériences virtuelles, pour tester des concepts de géométrie. Il y a des outils de travail personnel à la maison, des outils de travail collectif pour structurer la communauté d'apprentissage, pour que les profs, les élèves et les parents nouent d'autres formes de relations. Vous avez des espaces numériques de travail qui sont déployés dans les écoles. Ce n'est pas l'écran : ce sont des dizaines et des dizaines de produits. Globalement, c'est la réflexion que je voulais partager.

Pour l'instant, le numérique n’a pas bouleversé les manières d'enseigner. Pour l'instant le numérique est rentré dans l'Education nationale à la marge, comme la télévision dans les années 70. Nous avions rêvé d'une télévision qui allait démocratiser le savoir, donner à voir, donner à comprendre. Elle n'a pas tenu ses promesses du côté de l'Education nationale, en tout cas du côté de sa partie la plus structurante et disciplinaire de l'éducation. Tout cela pour des tas de bonnes raisons. Car une télévision demande un rendez-vous à une heure donnée et on ne peut pas placer tout un établissement scolaire devant l’écran. La télévision ne mesure pas qui est là, est-ce qu’il a appris, pas appris : ce n’est pas interactif. Le prof ne donne pas seulement à voir de l'image, il noue une forme de relation bien différente. Simplement donner de l'image, même avec un commentaire pertinent, cela ne suffit pas.


Il y a une autre raison qui nous interroge, nous les praticiens du numérique éducatif. Il serait important qu'on apprenne à penser le fait que l'éducation aujourd'hui, la pratique de l'éducation, je parle devant le Ministre et j'espère qu'il sera d'accord, c'est d'avoir une politique publique, avec un million de personnes, avec une organisation très précise, qui a été inventée dans des conditions historiques très précises, globalement à la fin du 19ème siècle, globalement selon des modèles d’ordre tayloristes. On a divisé les matières avec un prof de maths, d'histoire, de géo, des moments : cela dure une heure, et des groupes : c’est la classe. On leur a assigné un programme officiel de travail. Cette organisation a évolué pendant un siècle avec ses outils. Aujourd'hui le manuel scolaire est parfaitement adapté à l'organisation, et l'organisation est parfaitement adaptée à cet outil. Tout le monde a le même programme qui s’incarne dans les manuels, il y a un degré de liberté dans les manuels, mais ils sont quand même contrôlés par le système. Tous ces outils qu'on a essayé de bricoler… Rendre l'enfant autonome, lui apprendre à travailler en équipe, évaluer un enfant pour trouver l’origine de sa lacune et le faire travailler ce qu’il a raté trois ans avant… Tous ces outils demanderaient, pour leur donner leur pleine efficacité, que l’on pense en même temps une autre organisation des pratiques d’éducation. Nous l'avons vécu dans tous les autres domaines des pratiques humaines qui ont été bouleversées par le numérique : la médecine, les journaux... En général quand il y a de nouveaux outils, on pense aussi à une nouvelle organisation, et il y a un gain de productivité. Je ne dirais pas cette expression devant une assemblée d'enseignants. Aujourd'hui, l'Education nationale, qui a une politique très active pour la diffusion des nouvelles technologiques, qui a une population de la population française la plus familière d’Internet, avec les enseignants : ils sont les plus équipés à domicile, ils n’en n’ont pas peur, ils s'en servent, ils contribuent à Wikipédia… 5000 profs de maths ont fait une encyclopédie d’exercices de maths « Sesamath »… Pourtant, les pratiques d'enseignants sont les mêmes que ce que nous faisions il y a trente ans : dans une salle de classe, vous ne seriez pas dépaysés.


Pour conclure, c'est le chantier des années qui viennent... Tôt ou tard on repensera les objectifs de l'école, ses méthodes et ses outils et on inventera des possibilités de jeu qui permettront d’utiliser ce que les outils numériques permettent d’apporter : de la personnalisation, de la re-médiation, du travail collectif, de l'autonomie dans la construction du savoir... Aujourd'hui, ce qui nous attend à court terme, c'est que les écrans, le numérique sont en train de prospérer à côté de l'éducation, notamment dans le soutien scolaire qui, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, est en train de répondre à une angoisse, à une préoccupation croissante des familles. C'est un gros marché qui se structure et qui se professionnalise. Il commence à investir pour développer des outils de diagnostic de suivi, de re-médiation...

- A.Gintzburger : Et cela fait que certaines familles se sentent exclus du savoir… Il y a énormément d'enfants qui par choix de leurs parents n'ont pas accès aux cours particuliers et se sentent marginalisés.

- H. Verdier : J'entendais pendant la campagne présidentielle des réflexions sur le soutien scolaire pour les enfants, donner cinq heures de soutien scolaire pour les enfants. Car ce que l'on veut, c'est sauver les enfants… Les écrans vont transmettre de l'éducation à côté de l'Education nationale. Il y a le soutien scolaire. Il y a quelque chose qui est en train d'exploser depuis quelques années, c'est la formation en entreprise. Elle avait prospéré, elle avait coulé, et maintenant redémarre. Il y a aussi l'éducation informelle, les musées, le Palais de la découverte, les chaînes de télévision à vocation jeunesse... C’est aussi de l’éducation. Ce n'est pas parce que j'ai parlé du cœur régalien qu’est la politique de l'Education nationale, que la société française ne continue pas de s'éduquer de partout.

- A.Gintzburger : Merci. Avant de donner la parole à Monsieur le Ministre, peut-être y a-t-il des questions, sur ces trois interventions… Sur le rôle, la responsabilité, la culpabilité des programmateurs d’émissions jeunesse... Sur la manière dont les chaînes peuvent investir dans l'éducatif, s'investir… Et toutes ces questions sur le virtuel et ces écrans qui ne rentrent pas suffisamment à l'école... Avez-vous des questions ? Mademoiselle... Cette jeune femme qui a un passé de joueuse…



- Une auditrice dans la salle : Vous parliez d'éducation par le numérique, je pense que nous allons proposer quelque chose, enfin, un terrain d'expérimentation intéressant avec « Wakfu ». Ce sera de l'éducation informelle. Dans notre prochain jeu, on propose un jeu sans personnages non jouables. Nous allons mettre en place un système de gouverneurs, qui seront élus par les joueurs. Je pense que l’on pourra développer une certaine notion de civisme. Les joueurs auront un pouvoir total sur l'écosystème. Ce sera bien pour les sensibiliser à cela. Ils pourront détruire, ou protéger la faune et la flore. Ils seront dans un univers virtuel et verront ce qui pourrait se passer réellement dans le monde. Ils pourront voir un groupe en train d'exterminer une race. Ils verront que leur passivité aura des conséquences. Ce sera peut-être un moyen de leur faire prendre conscience de ce qui se passe réellement, et de les rendre plus proches des problématiques lointaines. La notion de civisme, c'est intéressant, ce système de gouverneur. C'est aux joueurs de parler entre eux, de régler leurs problèmes. C'est une toute petite porte que nous ouvrons vers l'éducation par le numérique.



- A.Gintzburger : Une autre question… Madame ...



- Une auditrice dans la salle : Je suis venue écouter ce colloque en tant que publicitaire pour la marque Mattel. Finalement, votre intervention me pose beaucoup de questions, mais pour une autre casquette que j'ai, celle de l'enseignement à l'université. Vous disiez que le numérique n'avait pas tellement changé les pratiques d'enseignement. Moi, dans mon expérience, pour des gens plus âgés qui ont déjà le bac, j'ai vécu un vrai raz-de-marée. Il y a eu un vrai chamboulement car la révolution numérique dans l'enseignement est arrivée chez les étudiants. Elle m'a obligée à revoir ma pratique. Je ne peux plus, alors que je le pouvais il y a sept ans, je ne peux plus proposer des exercices d'application à des étudiants qui le font chez eux ou en groupes, qui sont des exercices de recherche d'identification d’information, des exercices qui étaient jusqu'à présent d'investigateurs. Je suis obligée de changer de point de vue et d'exercice, pour leur demander aujourd'hui de la gestion d'information, de l'organisation, de la problématisation. Ce sont des exigences différentes, et qui ont fait basculer la façon d'enseigner. Je voudrais que vous reprécisiez votre point de vue. Il y a peut-être des nuances sur lesquelles nous pouvons nous accorder. J'ai un étonnement par rapport à tout cela…



- H. Verdier : Il y a une énorme différence entre les 55 000 écoles primaires qui sont disséminées partout en France, et les universités. Tout se passe comme si, je ne sais pas si un inspecteur de l'éducation générale serait d’accord avec moi, l'éducation avait deux composantes : transmettre des savoirs, et il y a aussi une relation humaine. Dans la primo-éducation, on transmet d'abord l'attitude dans les rapports humains et un peu de savoir, et petit à petit, on transmet plus de savoir et plus beaucoup de comportement. Dans les universités, la donne est très différente. Cela se renouvelle, se bouleverse. Il y a trois facs de médecine en France où il n'y a plus de cours d’amphis, on dit : regardez le DVD du cours et venez voir le prof par petits groupes pour faire les TD. Vous avez donc raison. Vous avez en plus glissé quelque chose dans votre intervention que j’aurai du rajouter dans mon tableau. Les écrans ont un autre rôle sur l'éducation : ils la débordent. Ma grand-mère, pour elle, l'école a été le lieu le plus intéressant, le plus riche en médias de leur vie. On y voyait des peintures, des leçons de choses... Aujourd'hui, c'est un lieu relativement pauvre en stimulations, en images, en médias. Je ne conseille pas pour autant à l'école de foncer dans l’excitation médiatique. Mais elle doit penser son rôle en tant que lieu du recueillement alors qu’avant elle était le lieu de la stimulation.


- A.Gintzburger : Je propose maintenant à Monsieur le Ministre de nous rejoindre. Cela nous permettra de clore, avant quelques questions, cette journée de réflexion. Le virtuel à l'école ? On y vient ... Mais « peut mieux faire », c'est ça ?



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Actes complets du colloque

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Table ronde n°3 : « Enfants, ados : une vie en réseau »


Participants :

- Nicolas Gaume, Directeur applications & jeux mobiles de Cellfish

- Aton Soumache, Producteur, PDG de Method Films et Onyx Films

- Mickaël Stora, Psychologue clinicien et psychanalyste

Modératrice : Anne Gintzburger



- A. Gintzburger : Bonjour à tous, bonjour à ceux qui nous rejoignent cet après-midi pour deux nouvelles tables rondes. Ce matin, nous avons parlé de la place qu'occupent les écrans dans les univers familiaux auprès des enfants. Cet après-midi nous allons parler chat, blogs, jeux en réseau. Ce sont d'abord les enfants qui vont nous dire ce qu'ils en pensent, et de quoi sont faits leurs jeux sur leurs écrans. Nous allons regarder un petit clip, et nous nous retrouvons juste après.

Diffusion d’un clip

- Evidemment, il y a des moments très drôles comme en ce moment : ils sont ensemble, ils s'éclatent. Il ne faut pas être toujours dans la négative du jeu vidéo, ce sont des moments conviviaux. Il y a les moments où il est tout seul, mais il y a aussi les moments où il joue avec ses copains. Evidemment, ce n'est plus comme avant, avec les jeux de cartes, mais c'est aussi des moments de rigolade, d'échanges extrêmement forts entre eux.

- Ben oui, entre nous, on ne fait rien qu'en parler, des jeux vidéo. Les nouveaux jeux qui sont sortis...

- Mais non, regarde : là, on est à la fin...

- J'ai un copain, il joue à Dofus. Mais avant, je ne le savais pas. Il est dans mon école, et en fait, j'ai appris qu'il jouait à Dofus, et on a joué ensemble.

- C'est grâce à ça qu'on ouvre le premier sujet. On entend quelqu'un en parler, et on arrive, et on parle de ça, mais après on parle d'autre chose.

- Ils savent éteindre un écran. Ils n'ont aucun souci à l'école. Tant qu'ils respectent tout ça, il n'y a pas de souci. Leur vie sociale, elle existe. Ils ont des amis.

- Il n'y avait que ça, tout le temps, à longueur de journée... C'est vraiment la compétition avec le monde, puisque tout le monde peut jouer. Pour le futur, j'espère que ça ne se développera pas plus que ça. Si ça se développe trop, après, on aura l'impression d'être dans un monde virtuel. On fera tout sur Internet.

- Mais ça dépend, il y en a qui ne bougent pas de chez eux, qui ne sortent pas... - Oui, ça, je ne sais pas pourquoi, mais ça me stresse.

- Mais ne t'inquiète pas, nous, on ne va pas faire ça...


- A. Gintzburger : Bienvenue à nos trois invités. Nicolas Gaume, nous allons commencer avec vous. Vous êtes tous les trois des passionnés de jeux. Vous avez publié l'année dernière un récit autobiographique qui s'appelle « Citizen Game ». Vous êtes l'homme idéal pour commencer à nous parler des jeux. Vous dirigez les applications et jeux mobiles Cellfish au sein du groupe Lagardère. Vous avez créé la société Kalisto en 1990. C'est une société de création de jeux vidéo. Parlez-nous de votre passion du jeu et de ce que vous faites au sein de Cellfish.

- N. Gaume : Bonjour, effectivement, j'ai l'honneur de démarrer cette table ronde. Je suis joueur moi-même, j'ai découvert les jeux assez jeune, vers 5-6 ans. J'ai créé mes propres jeux vers 11 ans. Et je crée ensuite la société de production de jeux vidéo. Aujourd'hui je suis à la fois ancien joueur, producteur, et père d’enfants qui jouent aux jeux vidéo.

- A. Gintzburger : En quelques mots quel est le marché du jeu 2007, le marché du jeu vidéo ?

- N. Gaume : Depuis une dizaine d'années, le marché du jeu croît de manière constante. Pas seulement parce qu’il y a de nouveaux joueurs, mais parce que les joueurs les plus anciens continuent à jouer. C'est un loisir assez segmentant. Il y a ceux qui jouent et ceux qui ne jouent pas, c’est sans doute lié à la grammaire du jeu vidéo.

- A. Gintzburger : On peut devenir joueur…

- N. Gaume : C'est une expérience qu'on appréhende plus facilement enfant ou ado plutôt qu’adulte. Mais on peut tout à fait devenir joueur, il y a des jeux attractifs pour des gens plus âgés. Je vais vous demander de passer quelques visuels…

« Nous sommes les primitifs d'une culture inconnue », c’est une phrase de Robert Desnos. En tant que créateur de jeux vidéo moi-même, il est une chose qui est certaine, c'est que nous connaissons mal la nature profonde du jeu vidéo. On sait assez mal quels sont les leviers de l’expérience vidéo ludique. Cela ne fait que trois ans et demi, quatre ans que le monde du jeu vidéo s'interroge sur les mécaniques du jeu vidéo. Je ne pense pas que cela soit très différent de ce que le cinéma a vécu, et on a fait pendant 20 ans, 30 ans, des films, au début du siècle, avant de mettre des mots sur la grammaire du film, la mise en scène dans le cinéma...

C'est un marché qui n’est pas ancien : le jeu vidéo a trente ans, c'est tout à fait jeune. Il a fait ses débuts dans l'informatique pure dans les années 50 et 60. Il y avait des expériences en marge des recherches informatiques. Le jeu vidéo a jalonné la réflexion sur les évolutions technologiques. Les grandes ruptures technologiques, elles se sont faites en partie à cause des jeux vidéo. Apple est né grâce à deux ingénieurs, Steve Jobs et Wozniak, ils ont créé un jeu qui s'appelle « Breakout », le premier casse brique d’Atari : l'argent de cette expérience a été réinvesti de monter Apple. AOL, le service bien connu, est né comme un service de jeu massivement utilisateurs au début. Il y a aussi Flickr, site de partage de photos bien connu qui était d'abord un site de jeux vidéo. Le jeu vidéo catalyse beaucoup de recherches.

C'est dans les années 70 qu'un homme qui s'appelle Nolan Bushnell a popularisé les jeux vidéo dans le monde des salles d'arcades : ce sont ces salles de jeux où on allait dépenser les quelques francs que nous avions. C'est lui qui a lancé la première console de jeux vidéo, la console Atari, qui a eu un succès retentissant au début des années 80. Il y a eu une explosion de la micro-informatique à l'époque. Cela a amené beaucoup de jeunes dans les années soixante-dix à se plonger dans l'informatique. Les images étaient rudimentaires, jusqu'à l'arrivée des machines de 94 et 95... Le marché vidéo est rentré alors dans l'âge grand public avec la Playstation de Sony et l'ordinateur CD-ROM Pentium qui a amené une qualité d'image relativement concurrentielle avec le dessin animé ou la télévision. Aujourd'hui nous avons des images d'un ultra réalisme. J'ai préparé des séquences vidéo sur le thème du jeu de sport, plus particulièrement le basket. Nous allons voir l'évolution de ces images ... Voilà le tout début du jeu de basket sur la console Atari. C'est un graphisme très rudimentaire. Avec des petits carrés... A l'époque les jeux de tennis c'était juste un rectangle et un petit carré qui circulait dans l'écran. A ce stade, peu de gens s'inquiétaient dans l'audiovisuel de l'impact de ce média. Pourtant les mécaniques de jeux sont déjà là.

Ensuite, dans la deuxième séquence nous sommes dans le milieu des années 90. Nous sommes sur la console Super Nintendo, avec toujours un jeu de basket crée par la société Midway. Déjà, le graphisme est plus coloré, un peu plus d'images... C'est plus sophistiqué. Mais le rythme reste assez saccadé. Ce sont des images en deux dimensions. Même si on gagne un peu de profondeur ... L'image d'après, c'est celle où nous passons à trois dimensions. C'est ce même jeu dans sa version Playstation. Là, nous sommes en 1995...

Enfin la version pour la Playstation 3, la nouvelle console de Sony. Vous voyez les images que nous avons aujourd'hui. Non seulement l'image est en trois dimensions mais avec un niveau de détail de définition très poussé. Le joueur contrôle les joueurs à tour de rôle. Il y a beaucoup d'effets de détail, nous voyons presque la sueur perler sur le front des joueurs. Entre le début et ces images-là, il y a une évolution qui montre la puissance de la qualité d'image. Nécessairement, ce qui fait la qualité d'un jeu, j'avais deux éléments de réflexion à vous porter... Regardons sur les visuels.


Le jeu vidéo, qu'est-ce que c'est ? Ce sont des images, mais c'est bien différent d’un média d'image. La création et l'expérience de jeu sont très différentes de celles du cinéma et du média narratif. Certes on touche le même public, on sait que le jeu vidéo est très populaire sur les 5-35 ans. Le joueur moyen a 29-30 ans. 55-60% des joueurs est masculin. Un jeu comme « The Sims » est joué à 90% par des femmes. Il y a des jeux de stratégie que commercialise Microsoft, et l'âge moyen des joueurs est de 38-39 ans. L'offre est assez diversifiée par rapport à celle que l'on peut connaître dans l'audiovisuel. Qu'est-ce qui fait que la génération numérique joue beaucoup? Mickaël en parlera avec plus de savoir que moi. Il y a un rapport à l'information différent. L'information est immédiate, nous sommes plus sélectifs. Le jeu vidéo donne ce choix d’expérience. Nous sommes en contrôle, nous ne sommes pas assis à recevoir. L'expérience et le temps appartiennent aux joueurs. J'entends Mickaël dire que c'est partiellement vrai. Techniquement, c'est bien le joueur qui définit le temps. Nous, créateurs de jeux, nous serons comme n'importe quel créateur de cinéma ou de séries télé. Nous voulons faire en sorte que l'expérience dure longtemps. Nous allons chercher à ce que le joueur reste impliqué.

Pour moi-même, comme père et comme ancien joueur, je me pose des questions sur ce sujet. Il faut trouver le bon équilibre entre ce qui fait le succès commercial d'un jeu et notre responsabilité en tant que créateur. Le rapport aux autres est aussi important. Particulièrement pour les jeux sociaux... La façon dont les jeunes se construisent, plus tribale, plus transversale, fait que le jeu vidéo peut être un vecteur d'expérience plus adapté. Une chose m'apparaît essentielle à dire, c'est qu'au fond, on a une génération à laquelle on amène par la force des choses à constater que l'important est moins d’avoir la réponse, que de savoir se poser la bonne question. Ce qui est important dans le jeu vidéo, c'est qu'il y a une multiplicité de chemins dans une expérience de jeu. Je pense que le joueur apprend à trouver des solutions, à agencer des éléments de réponses. C'est la quête qui importe. Pour moi qui ai grandi avec l'expérience du jeu vidéo, cela m'amène à dire que face à un problème, il y a plusieurs solutions. Il faut arriver à apprécier les différents éléments pour trouver la solution.

- A. Gintzburger : De ce point de vue, y a-t-il des incidences pédagogiques ? Est-ce que ce sont des choses auxquelles vous pensez quand vous concevez des jeux?

- N. Gaume : Je crois que le jeu vidéo est un système d'apprentissage en tant que tel. Regardons quelques visuels... Je pense que la confusion que nous pouvons avoir sur le jeu vidéo est qu'on le compare à un média d'image. Au fond, quand on regarde un dessin animé ou quelqu'un jouer, on peut penser qu’il y a beaucoup de points communs. Notamment quand on aborde la question de la violence. Mais jouer à un jeu vidéo et regarder un dessin animé sont des expériences radicalement différentes. Ce qui est intéressant, c'est de savoir quelle est cette dynamique du jeu vidéo. C'est une expérience existentielle, et le maître mot c’est virtuosité. Existentielle par opposition à essentielle. Dans un jeu, nous allons proposer à un joueur d'incarner une projection de lui qu'il aura créée, ou qu'on lui propose et sur laquelle il se construit. Dans un film, on lui demande de s'abandonner au contraire au profit d'un héros. Ce qui fait l'intérêt d'un film ou d'une série, ce sont les antagonismes entre les différents protagonistes. Je m'identifie à un personnage ou à des problématiques, et je vois comment dans la série ou le film le problème sera résolu. Cela me donne à moi des éléments de réponse sur le sens que tout cela a. Dans le fond, dans n'importe lequel média loisirs, je tente de répondre à ce « qu'est-ce que je fais là, à quoi ça sert »? Le jeu vidéo va nous donner l'occasion de l’aborder en expérimentant pour de vrai. Le jeu offre la virtuosité. Je vais avoir des sensations en quelques minutes qui équivaudront à celles obtenues pour la même expérience dans la vraie vie, après des années de travail et avec du talent. Par exemple, je peux vous donner la sensation de ski alors que vous ne savez pas tenir sur des skis ou un surf. Vous allez pouvoir avoir l’exaltation et la sensation d’un skieur. De la même manière, dans un jeu de création de villes comme « Sim City », l’expérience de gestion qui se rapproche de ce qu'on pourra connaître lorsqu'on fait de la gestion d’une ville ou de la gestion tout court. Cette virtuosité immédiate rend les choses difficiles pour construire, mais c'est aussi ce qui fait la puissance de ce média, parce qu’effectivement les sensations que l’on peut apporter sont très puissantes. Je le dis de manière très ouverte, c'est quelque chose qu'on sait de mieux en mieux construire depuis 30 ans, mais dont on évalue encore avec beaucoup de prudence les conséquences et l'impact sur les plus jeunes en particulier. Merci beaucoup.

- A. Gintzburger : Nous allons poursuivre avec vous, Aton Soumache, vous êtes producteur et PDG de Method Films et Onyx Films. Vous produisez des longs métrages et des courts-métrages de fiction et d'animation, nous évoquerons aussi votre série et votre nouveau bébé, « Wakfu »...

- A. Soumache : Merci beaucoup. Ce qui est intéressant dans ce qu'a dit Nicolas c'est que je ne suis pas toujours d'accord.... Sur la radicalité des médias, je pense l'inverse de Nicolas. Après, c'est une expérience... Il y a plein de sujets que nous pouvons aborder aujourd'hui.

Il s'agit des enfants et ados : une vie en réseau. Nous n'avons pas parlé de la question online. Je suis producteur de la linéarité et cela fait maintenant dix ans que je produis dans le linéaire. Je produis des longs-métrages d'animations ou live, et cela est vrai que depuis deux ans, et je suis joueur, je n'avais jamais fait le pas entre raconter des histoires et le jeu vidéo. Même si pour moi, en tant qu’expérience, je jouais à la fois aux jeux et je crois avoir éprouvé des plaisirs communs à la découverte d’univers aussi bien à travers l’interactivité que dans l’expérience linéaire. Il y a deux ans, je me suis dit : avec tout ce qui se passe dans la dimension du réseau et dans le online sur Internet, et dans le jeu vidéo qu’il soit online ou offline, il y a des artistes incroyables qui développent le monde de l'imaginaire et de l'interactivité alors que nous, anciens producteurs des médias plus traditionnels, on se pose les mêmes questions sur le linéaire. Mais on a quand même fait le tour de la question. Il y a bien sûr de nouveaux univers et de nouveaux films à découvrir, mais il y a des talents incroyables qui sont là sans qu'il y ait d’interaction et de point contact.

Il y a deux ans, j'ai créé une société de production interactive pour essayer d'en cerner les contours et de comparer mon métier à celui de l'interactivité. C'est quelque chose de totalement organique, et en création. Nous sortons en premier nos premiers jeux vidéo maintenant avec un parti pris qui est de faire des jeux interactifs qui font la passerelle entre le monde du cinéma et de la télé. Nous essayons de les développer sur tous les supports. Nous avons plusieurs projets aujourd'hui comme « Skyland », qui est une série qui marche assez bien à travers le monde. C'est un long-métrage qui rentre en production, et un jeu online et offline que nous développons en interne pour PS3 et XBOX 360 avec des artistes communs. Nous avons un univers fort, comment tous ces artistes peuvent travailler ensemble aussi bien à la réflexion interactive que linéaire ?

Au fur et à mesure, depuis deux ans, la télé a beaucoup évolué: oui, il faut faire des séries à 360°. Il faut intégrer cette nouvelle dimension du online. C'est simple à dire mais à l'arrivée qu'est-ce que cela veut dire ? Qu'est-ce qu'une série dite 2.0 ou un film 2.0 ? Nous avons réfléchi à tout cela. Je n'ai pas trouvé de solution, ce n'est pas évident, mais j'ai fait une rencontre assez intéressante qui ouvre la réflexion. Nous développons la première série interactive que nous faisons avec France 3, qui s'appelle « Wakfu ». Je n'en suis pas à l'origine, moi je maîtrise la production linéaire, avec mes amis d’Ankama qui ne sont pas là. Si, il y a quelqu’un d’Ankama, merci d’être venu. Ils s'acharnent sur la production d’une série. Ils ont créé « Dofus », qui est un MMORPG (jeu de rôle massivement multi joueurs). Il y a un jeu assez extraordinaire qui est parti avec très peu de joueurs et qui aujourd'hui compte plus de 6 millions de joueurs. Une grande quantité en France certes, mais cela se développe aussi à travers le monde. Il y a plus de 600 000 abonnés qui ont le bonheur de payer 6€ par mois et qui font le bonheur de mes amis lillois.

- A. Gintzburger : C'est un jeu en réseau sur Internet, pour ceux qui ne sont pas très pointus sur les jeux.

- A. Soumache : C'est un jeu en réseau sur Internet, excusez-moi. Il a pris le parti pris opposé de tout ce qu'on peut connaître. Je ne sais pas si vous connaissez « World of Warcraft » ? C'est assez violent, avec cette image qui colle aux jeux vidéo de jeu dur et violent. Ils sont partis à l'opposé avec un esprit très Nintendo appliqué au monde online. C'est très ludique et amusant avec beaucoup d'humour. Il y a des combats, mais c'est plaisant. De Tourcoing, puis de Roubaix, ils ont créé une communauté exceptionnelle qui aujourd'hui compte plus de 6 millions d'enfants et ados qui vivent en réseau. Ce qui est intéressant là-dessus, à propos de la vie en réseau, c'est qu'il y a trois tendances dans le monde de l’interactivité. Vous avez les réseaux sociaux, il y a le jeu vidéo, et puis il y a les mondes virtuels type « Second Life ». Dans le monde du réseau, on remarque qu'aujourd'hui, quels que soient les réseaux, tous essayent d'être à la convergence de ces trois univers. Il faut procurer de l'expérience interactive mais aussi du réseau social et du monde virtuel. En fin de compte, « Dofus » et tous ces nouveaux univers, c'est avant tout un jeu en ligne, mais ça devient aussi un réseau social car les gens apprennent à se connaître, discutent ensemble. C'est aussi un monde virtuel dans lequel vous vivez, vous vivez dans l'univers de « Dofus ». Nous voyons aujourd'hui que tous migrent à essayer d'intégrer ces trois dimensions de l'interactivité. Nous, en tant que producteurs, nous nous sommes associés avec nos amis d’Ankama il y a un an et demi pour essayer de développer un projet crossmédia, en partant d'une communauté réelle et en partant d'une interactivité réelle. Nous essayons de voir comment nous pouvons greffer notre expérience linéaire, et où sont les passerelles, où sont les points communs. Comment prolonger ces expériences de jeux interactifs dans le monde des médias classiques sur la télé, mais aussi sur les mobiles ? Nous avons développé tout cela…

- A. Gintzburger : L'idée première, c'est de produire une série d’animation télévisée et de la décliner sur différents écrans.

- A. Soumache : Cette série télé est profondément interactive. Vous le verrez sur France 3 en septembre, c'est révolutionnaire. Blague à part, c'est génial. Vous travaillez avec des gens qui vivent au quotidien avec 6 millions de joueurs qui viennent jouer avec eux. Nous nous sommes amusés à dire: quelle est l'expérience supplémentaire ou la complémentarité d’une l'expérience linéaire qui nous renverrait à l'interactif ? Nous avons développé une légende sur la série qui vous permettra de suivre la série mais aussi de rejoindre la communauté des 6 millions de joueurs. Il y aura même des jeux de piste au sein même des épisodes diffusés. Nous avons travaillé sur toutes ces passerelles-là. C'est une expérience intéressante. De manière plus classique, nous développons « Skyland » : nous avions un univers très fort, un réalisateur talentueux, et nous étions frustrés à l'écriture de la série et même du long-métrage. Il y avait tellement de choses que nous voulions expérimenter dans ce monde-là, que nous nous sommes dit que l'expérience interactive était une manière de se prolonger et de produire des programmes. Je vais vous montrer un extrait sur « Wakfu ».


Diffusion d’un extrait vidéo.


- A. Soumache : Nous produisons aussi des Web-isodes, ce sont des gags qui nous permettent de revenir à la télé, puis de revenir vers le monde online. Toutes les équipes online et offline travaillent au même endroit, à Roubaix. C'est très intéressant car tout s'enrichit et tout participe à tout. Au-delà de la dimension ludique, voilà ce qu'offre un Webisode. Vous avez vu un petit personnage et vous avez eu grand plaisir à le retrouver sur votre portable. Nous avons multiplié l’expérience, et nous écrivons aussi d'un point de vue narratif, en fonction des supports. C'est intéressant de travailler pour tous ces médias. C'est un projet global qui est assez passionnant. Il est en pleine création. Nous sommes en plein dedans. Nous allons nous arrêter là pour rendre ce débat interactif.

- A. Gintzburger : Merci en tout cas pour ce joli cadeau. Vous êtes en plein dedans, nous allons attendre la rentrée scolaire prochaine pour le découvrir... Pour terminer notre tour de table, Mickaël Stora, merci d'avoir accepté notre invitation, vous êtes psychologue clinicien et psychanalyste, vous avez publié « Les écrans, ça rend accroc ». Nous avons parlé des jeux et des déclinaisons multi-écrans. Nos ados sont-ils accrocs? Y a-t-il danger, Docteur, que cette addiction les porte vers des mondes qui soient dangereux ? Vous, vous faites partie de ceux qui considèrent que le jeu vidéo est aussi un allié pour des thérapeutes…

- M. Stora : A quoi vais-je répondre en premier ? A la question de l’addiction ?

- A. Gintzburger : Dites-nous comment vous travaillez sur les jeux vidéo. Pourquoi vous faites partie des médecins qui ne les tiennent pas à distance, et qui en font des alliés auprès des ados ?

- M. Stora : Il est vrai que j'ai biberonné aux images télé. J'ai toujours eu le fantasme, enfant, de pouvoir rentrer dans les images. En 1995, j'ai joué à un jeu qui s’appelle « Deus Ex » : c'est un jeu en 3D qui m'a permis de rentrer dans l'image, de vivre et de me battre dans les images, peut-être était-ce une manière de me les approprier. Nous avons beaucoup parlé des images classiques et des écrans dits passifs. C’est faux car mentalement, nous transformons ce que nous voyons. Il y a un rapport quasi sacré aux images, des enjeux quasi existentiels : je passe à la télé donc j’existe, je crois à ce que je vois, et non à ce que je pense. C'est intéressant que la culture du jeu vidéo vienne bousculer tout cela, et permette de pouvoir jouer, de pouvoir transformer avec Photoshop. Un enfant a un regard beaucoup plus lucide sur les images, que ses parents qui pensent que le journal de TF1 est vrai par exemple, c’était un sondage Médiamétrie d’il y a 6 ans….

- A. Gintzburger : Il n’y a pas d’attaques personnelles…

- M. Stora : Non, PPDA est un très bon acteur, sûrement. Cela permet au fond de pouvoir se moquer un peu des images, je pense que c’est une des raisons pour lesquelles les parents ont du mal. Il y a un véritable fossé générationnel. Les parents souvent n'ont pas connu ce propre jouet dans leur enfance. Ils ont du mal à s'identifier, à part quelques-uns. La plupart du temps, il y a une méconnaissance. J'essaie, dans mon travail d'analyste, de comprendre pourquoi il y a cette peur. Premièrement, il y a un fossé générationnel. Deuxièmement, les parents ont un rapport quasi sacré : la messe cathodique, avec les nouveaux prophètes, je ne citerai pas de noms. Ce qui est choquant, c'est qu'une petite fille de 8 ans qui va jouer à « Doom », habillée tout en rose, ça choque. Avec ces pulsions sadiques, on se rend compte que l'enfant n'est pas sage comme une image. L'ère du jeu a toujours été une ère de mise en scène ces pulsions-là. Le jeu permet de dire « je ». Cela a été important à un certain moment. Cette liberté qu'a l'enfant de jouer avec les images peut choquer. Nicolas nous a montré des images de basket, il y a évidemment du réalisme qui existe dans des jeux, avec une violence graphique, j'insiste là-dessus, nous allons avoir un réalisme qui me rappelle quand j'étais gosse. Nous jouions avec des bâtons et il y avait un plaisir jubilatoire à tomber au ralenti. Nous retrouvons ça dans le jeu vidéo. C'est une esthétique de la mise en scène de la mort. Quand on s’est battu pendant une heure contre un boss, c'est-à-dire un grand monstre, nous n'avons pas envie qu'il meure en un quart de seconde. Nous voulons que cela prenne des proportions qui dépassent l'entendement.


- A. Gintzburger : On a envie d’être un héros…

- M. Stora : Le jeu vidéo permet d'être le héros de ces images. Dans cette société, on parle des images, mais l’image de soi est parfois surinvestie. Nous avons tendance à faire de nos enfants des champions des compétences cognitives. Les Américains ont travaillé depuis quinze ans sur le jeu vidéo, et ils ont montré que oui, cela développe une intelligence déductive, la spatialisation en 3D, la capacité à réaliser plusieurs tâches en même temps.

Mais moi, je suis psychanalyste, je vais donc m'intéresser à la rencontre entre une histoire chez un enfant, un adolescent et le jeu vidéo. Le jeu vidéo reste une narration en action. Cela reste un média d’action, mais il y a une narration : lorsque je joue à « Tétris » je me raconte une histoire. « Tétris » c'est amusant, c'est un jeu obsessionnel où il faut remplir des trous. D'autres, branchés sur la dimension quasi psycho-sexuelle, diront il y a des trous à remplir. On peut aller très loin. Il y a étonnamment une mauvaise image du joueur, une sorte d’autiste obèse avec un doigt hypertrophié. Quelqu’un a évoqué le plaisir tout à l’heure. On n'osait pas dire plaisirs solitaires. Il y a quand même de cela. MMO ferait du joueur une sorte de masturbateur sans fin. Je suis un observateur militant, c'est mon travail. J'essaye de me dire qu'il y a quelque chose d'intéressant dans cette culture. Le grand danger pour moi, le risque, serait que le jeu vidéo devienne une culture, voire un objet artistique aussi formaté que la télé, qui a parfois du mal à prendre des risques. J'attends les jeux vidéo d'auteur. Il y aurait des choses à imaginer pour le futur. J'ai eu l'occasion de déjeuner avec Natalie Bevan de Médiamétrie, et nous parlions de cette question des 15-24 ans qui délaissent énormément la télévision. Là où je suis inquiet, c'est qu'on perçoit des crises d'adolescence virtuelles. C’est vrai qu’il y a des signes inquiétants…


- A. Gintzburger : Ca veut dire quoi, crise d’adolescence virtuelle ?

- M. Stora : Il y a un gros souci qui fait que beaucoup d'ados, maintenant, le clash va exister, mais au lieu de partir dehors, de faire une fugue ou le tour de pâté de maison, nous allons dans notre chambre nous battre contre les monstres sur Internet. Cette crise d'adolescent ne se fait plus dehors mais chez soi. C'est plus inquiétant. Nous sommes dans une forme de paradoxe : le confort de la crise d'adolescence chez soi avec le matériel que ça sous-entend. Tellement de choses ont été abordées que je suis peut-être dans le multi tasking...

- A. Gintzburger : Ce qui nous intéresse le plus c'est que vous nous racontiez comment vous est venue cette idée d'utiliser le virtuel à des fins thérapeutiques.

- M. Stora : Là, ce sont plus des enfants qui avaient des troubles du comportement, dits violents : j'ai pris le risque de les soigner avec des jeux vidéo. Les enfants m'appelaient « le psy qui console ». En même temps, j'ai eu des gros soucis, il faut être honnête. Winnicott, qui est un grand psychanalyste, aurait peut-être joué aux jeux vidéo. Mais il y a beaucoup de refus de la part de mes pairs. Cela évolue, heureusement. Beaucoup d'enfants ont des problématiques limites, et les jeux vidéo mettent des limites, contrairement à ce que l'on croit. Ils demandent de persévérer, de vivre une histoire, d’incarner un avatar, de faire émerger toutes sortes de choses.. Les enfants transforment ce qu'ils voient. J'ai choisi des jeux vidéo très précis. J'utilise quatre jeux. J'attends que nous inventions d'autres jeux. Il y a « Ico », « Shadow of Colossus », les Sims et « Fable ». Ce sont de grands jeux. Les Sims, c'est très intéressant pour moi, car il m'arrive de voir comment les enfants... Mon boulot, c'est d'aider les enfants à flinguer les figures parentales. Dans les Sims, vous créez une piscine, et vous faites mourir vos parents dans un plaisir totalement jubilatoire. Les jeux vidéo me permettent d’utiliser cette agressivité propre à l’être humain. L'homme est un loup pour l'homme, et le jeu vidéo le montre. Cela choque. Là, vous êtes vous-même acteurs. Et les parents finalement peuvent être jaloux ou envieux de cette liberté. Il y a des enfants qui m’ennuyaient en thérapie, car ce qui les intéressait, c’est de me gagner. On joue aux cartes, pas au poker. J’ai gagné le psy, mais ce n'est pas suffisant. Le jeu vidéo est un allié thérapeutique, un co-thérapeute très intéressant. Je l'utilise comme un outil thérapeutique, mais là où c'est intéressant, c'est que ça marche. Je suis très anglo-saxon dans mon approche : j'ai 85% de réussite. Les enfants reprennent un cursus scolaire. Quelque chose s'est calmé sur le plan pulsionnel, et grâce aux jeux vidéo et à la violence mise en scène qu'ils y trouvent, ils peuvent retrouver l’envie d’apprendre. Je fais cela dans un cadre clinique. Un vendeur de jeux vidéo m'a raconté que trois mamans sont venues le voir pour acheter « Ico », en se disant que « Ico » soigne les enfants qui ont des troubles du comportement.. C'est un outil très passionnant pour moi. La main devient la métaphore du moi dans le jeu vidéo. Même si les interfaces bougent, la sentiment de présence, qui est essentiel dans le jeu vidéo, peut se faire avec la main.


- A. Gintzburger : Autant vous dites que les parents ne peuvent pas se substituer à un travail thérapeutique, autant nous pouvons imaginer que ce que vous construisez avec les enfants en thérapie peut être prolongé à la maison avec les parents. Cela peut peut-être permettre de renouer le dialogue avec les parents?

- M. Stora : J'aurais tendance à penser que nous ne sommes pas obligés de jouer avec nos enfants. Il y a des jeux sur consoles qui sont superbement beaux. Il y a des mamans qui ont du plaisir à regarder leurs enfants jouer sur la télévision. Le joueur devient une sorte d'acteur, spectateur, et metteur en scène. Il y a une maîtrise qui permet aux parents d'être spectateurs de leurs enfants: ils font des prouesses. Maintenant, je connais des pères qui me disent qu'ils n'osent pas jouer contre leur fils : ils ont peur de perdre. On va peut-être mettre en place des championnats trans-générationnels. Il y a quelque chose à mettre en avant pour décoincer cette bulle qui est très française. Nous avons un vrai problème en France sur cette question-là. Nous pouvons tout à fait imaginer, même à un niveau individuel, seul chez soi, beaucoup de gens, et pas seulement des jeunes puisque l’âge moyen du joueur est de 28 ans en France, des gens qui vont utiliser parfois de manière inconsciente le jeu vidéo, peut-être pour soigner quelque chose. C'est marrant, car « Dofus » est un jeu que m'a évoqué un monsieur, c'était un homme politique, je le recevais en thérapie. Il était devenu accro à ce jeu. Nous n'allons pas rentrer dans la dimension addictogène des MMO, mais à un moment dans sa vie, nous avons besoin de trouver des lieux où nous allons retourner la vapeur. Nous allons soigner des frustrations, des stress. Le jeu vidéo va permettre de soigner ces choses-là, de réparer sa propre image, permettre de réparer sa propre ambivalence... C'est ça, qui est très intéressant dans le jeu vidéo. Je me souviens d'un monsieur qui était patron de presse, et qui m'a avoué les yeux baissés qu'il jouait énormément à « Sim City » entre autre parce que sa femme le maltraitait. Chacun va utiliser les jeux vidéo pour un bien être. Tout en sachant qu'il ne s'agit pas de faire d'angélisme. Il y a des jeux que je n'apprécie pas. Il y a un jeu, « GTA San Andreas », qui m'a beaucoup inquiété. Certains enfants m'on dit qu'ils s'étaient sentis trop libres, et d'autres disent qu’ils adorent cette liberté. Le sentiment de liberté n'existe que parce qu'il y a un cadre, paradoxalement. Ce type de jeu plaît, car ça s'est vendu d'une manière folle, néanmoins le risque est de faire du jeu vidéo une sorte de punching ball numérique : il n'y a pas de justification, ni de contextualisation de l'agressivité. L'agressivité est une chose saine, le jeu l'a bien compris, car il y a toujours un contexte. Je tue des extraterrestres parce qu’ils envahissent la planète. C’est ce qui va nous permettre de rentrer dans un avatar et d'accepter les règles.

- A. Gintzburger : Je trouve cela passionnant, j'ai envie de vous solliciter les uns et les autres pour des questions. Les micros sont toujours là, nous avons un gros quart d'heure, si nous le souhaitons, pour entendre les uns ou les autres sur le jeu vidéo, le fossé générationnel, mais aussi sur cette manière que peuvent avoir les ados et les parents de se retrouver à travers ces jeux. Il n'y a pas tant de questions que cela... Oui, Madame…

- Une auditrice dans la salle : Bonjour, je suis journaliste. Vous évoquiez l’addictologie, tout en disant qu’on n’allait pas en parler. Parlons-en tout de même. Lorsqu'on est producteur, et qu’on conçoit des jeux, comment prendre ce facteur en considération ?

- N. Gaume : J’ai écrit un livre, j’ai travaillé comme le fait Ankama aujourd’hui sur des productions crossmédia. Je ne pense pas que nous ayons une approche différente de celle d'autres créateurs. Quand j’ai écrit mon livre, j’avais envie que les gens prennent le livre et aient envie de tourner la page pour continuer. On a la même approche dans la façon dont on construit un jeu : nous utilisons des outils que nous connaissons probablement moins bien et dont nous connaissons probablement moins bien l'impact. Je ne vais pas vous le cacher, nous le faisons avec le plus de bon sens possible, avec nos valeurs. Je suis père d’enfants qui jouent et je me pose ces questions. J'avais l'opportunité, à un moment de ma carrière professionnelle, de créer un jeu concurrent d’un jeu qui s'appelait « Carmageddon ». L’objectif était de rouler sur d'autres personnes pour gagner des points. Mon éditeur, qui a diffusé mon produit, m'avait demandé de rajouter des passants sur lesquels on pouvait rouler. J'ai refusé, trouvant que c'était sans objet. Je le redis, le jeu vidéo apporte énormément de choses. J'ai eu l'occasion, ces cinq dernières années, de travailler sur des jeux en ligne, où il y avait une dimension encore plus puissante. Nous pouvons en parler, car c’est là que la question de l’addictologie et de l’implication joue à plein. Nous sommes dans une situation aujourd'hui où, sur ce type de jeux, on tire par l'expérience la plus ultime.

Pour faire simple, un jeu vidéo en ligne, c’est comme une station de ski. Nous y venons pour faire du ski. Entre la personne qui se lève à 7h du matin pour faire son footing et être tôt sur les pistes, et celui qui se lève à 13 h car il a fait la fête toute la nuit, celui qui va avec ses enfants faire des bonhommes de neige ou de la luge, celui qui sera avec ses copains à manger des tartiflettes, il y a des expériences très variées. Donc nous avons un microcosme social, nous sommes dans un environnement où nous essayons de faire converger réseaux sociaux, outils de communication tribaux, et instantanés et multiples, avec cette expérience de jeu qui est une façon d’éditorialiser, de cadrer. Nous sommes à peine en train de trouver des règles qui font l’expérience interactive de qualité. Lorsque nous parlions d'agressivité dans le jeu, elle est canalisée, car il y a une thématique. Le problème du jeu en ligne, c'est qu'aujourd'hui il ne s'adresse qu'à cette population qui va vouloir être le joueur de ski actif, qu’il exclut tous les autres, et encourage les autres à être dans cette catégorie-là. Je pense que cela tient aussi à la maturité des jeux. C’est de l’intérêt économique des producteurs de jeux de toucher un public le plus large. De toute façon, les joueurs les plus actifs ne représenteront pas la masse. Mais nous, comme producteurs, il nous faut toucher des gens qui ne soient pas les plus actifs, prêts à ne jouer que 5 minutes de temps en temps, et pas 40 à 50 heures par semaine. Je suis capitaliste, et je crois aux vertus du système auto-régulé d’une certaine façon. Nous sommes au début des jeux en ligne, et cela va amener à traiter ce type de danger. Comme créateur, cela me préoccupe plus que le temps que nous passons sur un jeu.

- A. Soumache : Juste une remarque, très simplement. Ce qui est intéressant, j'ai été dernièrement à une présentation de Microsoft sur l’évolution du monde des jeux vidéo. Nous sommes au début du jeu en ligne et même du jeu vidéo tout court, cela n'a que 20 ans. Nous sommes dans le Hollywood des années 30. Il y a la dimension addictologie, mais pour un jeu comme « Dofus », je ne suis pas là pour le défendre, nous travaillons sur l'expérience linéaire. Mais en réalité. Rester des nuits entières à jouer dans les réseaux sociaux, il y a une expérience extrêmement positive. Certains stigmatiseront le côté « on ne se rencontre pas », ce qui est faux. La communauté discute, il y a énormément de rencontres. Ankama pourrait dire le nombre de mariages qui ont été faits grâce à « Dofus », c’est assez exceptionnel. Il y a une vraie communauté. Je la trouve ludique et sympathique. Il y a une dimension transgénérationnelle. Des parents jouent avec leurs enfants qui communiquent avec d’autres enfants. Chez Microsoft, nous avons vu que pour les 10 années à venir il y allait avoir un retour à la douceur et à la poésie dans les jeux vidéo. Nous en sommes au tout début. Il y a des jeux vraiment originaux qui commencent à apparaître. « Ico » est exceptionnel. Il y a donc un manque de maturité, mais ce sont les grandes tendances de Microsoft et de tous les autres éditeurs de jeu d'aller vers des choses aussi magiques que « Ico », « Shadow of Colossus », et que ce soit dans le offline ou dans le online.

- M. Stora : Au niveau de l’addiction, je dois en parler un petit peu. 80% des patients que je reçois sont des « No Life ». Ce sont des drogués qui jouent jusqu'à 90h, soit 10 ou 15h par jour. Ce ne provient pas du jeu vidéo, qui est un révélateur.

- A. Gintzburger : C'est ce que décrivait l’ethnologue ce matin : il nous décrivait des parents qui décrivaient leurs enfants dans un état d’excitation…

- M. Stora : Non, l’excitation peut venir parce qu’on a perdu : on est tous mauvais joueur. Je ne travaille pas dans l'entreprise, je me permets d’avoir une forme de recul. Le jeu « World of Warcraft » regroupent 600 000 joueurs en France, 11 millions de gens dans le monde. Je pense que 500 000 joueurs sont ou vont devenir dépendants. C’est un jeu qui a des ressorts complètement addictogènes, il ne faut pas le nier. J'ai moi-même été expert auprès du Forum des droits sur Internet avec le ministère de l’Intérieur, et les gens de Vivendi Universal, on leur a dit : pourquoi ne pas faire en sorte que lorsqu'un joueur joue depuis trois heures, son personnage devienne plus lent pour une prise de conscience: ce n’est pas possible. Le verrou parental nous ne pouvons le mettre qu’au début, après ce n’est plus possible. Il y a moyen de mettre des messages à l'intérieur du jeu, mais les producteurs ne le veulent pas. Il y a 11 millions de joueurs dans le monde qui payent 15€ par mois : quel est l'intérêt de faire ça pour eux ? Dans ces jeux en réseau, on ne vous oblige pas vraiment, mais dans l’idéal il faut d'être présent 3 nuits par semaine de 21h à 1h du matin. Il y a beaucoup de choses compliquées, elles existent, il ne s’agit pas de les nier.

On n’a pas les mêmes syndromes qu’en Corée où il y a déjà eu des morts. Maintenant, on hospitalise de plus en plus. Cela devient un syndrome, on n'en parle pas beaucoup. C'est le syndrome « No life ». « Dofus » est très différent. Il y a une dimension humoristique qui met de la distance. Mais il y a aussi des accrocs à « Dofus ». Je connais des ados qui me disent: je ne joue pas à ce jeu-là, car il est impossible de n'y jouer qu’une heure ou deux, cela n'a aucun intérêt. Il est important de le dire. A l'inverse, le jeu vidéo offline peut aussi être une expérience où il y a un autre. Il est invisible, mais c'est le programmeur, le père virtuel. C'est l'intelligence artificielle qui va prendre de plus en plus ses lettres de noblesse. Elle va me donner cette illusion. Maintenant, je suis un peu schizophrène : nous travaillons sur le transfert des compétences. Cela veut dire que quelqu'un qui dirige une guilde de cinquante personnes dans un jeu, a des vraies capacités de manager incroyables, alors que dans la vie, il est cariste. Pourquoi ne pas prendre en compte ses compétences dans le domaine de la vie réelle ?

- A. Soumache : Au bureau, un des patrons du game design, c'est le plus grand orque au monde de « World of Warcraft ». C'est un type brillant et génial. J'ai été gros joueur : évidemment il y a des dérives, mais il ne faut pas stigmatiser tous ces travers...

- M. Stora : Soyons honnêtes, entre nous, World of Warcraft, ce n'est pas du jeu. C’est un autre type de plaisir dans le jeu et les joueurs le disent « ce qui me plaît, c’est qu’il y a d’autres joueurs comme moi. Ce n’est donc pas un jeu très compliqué : il faut simplement être présent. Pour mener son avatar d'un niveau 0 à un niveau 70, il faut 95 heures. J'ai joué à « Warcraft » I, II et III offline, ce sont des jeux supers qui racontent une histoire géniale. J'ai envie de dire : les parents, faites attention si vous l'achetez, installez tout de suite le verrou parental. C'est ça le jeu. Un avocat, père d’un patient, m'a dit qu'il voulait porter plainte contre Blizzard. Je lui ai répondu que je pensais que Blizzard se retournerait contre lui car c'est un nouvel enjeu d'autorité parentale. Il faut que les parents aient aussi la capacité à mettre des limites.

- Une auditrice dans la salle : Je me présente, je suis présidente d'une association qui s'appelle « Enfance Télé Dangers? ». Je voulais vous poser une question par rapport à l'avenir des jeux vidéo et de la télévision. Les enfants d'aujourd'hui ne grandissent plus à partir d'expériences personnelles, d'expériences motrices et relationnelles, mais à partir d'images qui ont été créées pour eux, la plupart du temps dans un but marchand. C'est un premier point. Je voudrais vous lire un mail que j’ai reçu d'une association canadienne. Il dit que les jeux vidéo de type FPS, c'est-à-dire qui va faire feu le premier, sont des simulateurs de meurtres. Mais bien sûr le chiffre d’affaire est de 10 milliards de dollars US. Les jeunes affichent un comportement antisocial dès qu’ils cessent de jouer : il y a une augmentation de 43% des pensées agressives et une hausse de 17% des réponses violentes à la provocation. Les jeux vidéo comptent pour 13 à 23% dans la hausse des comportements violents des adolescents. Pour comparaison, le tabac compte pour 14% dans la hausse des risques de cancer.

- M. Stora : Tout cela est faux. Cette référence au colonel Grossman de l’armée américaine, qui pense que le jeu vidéo fonctionne par procédure, c’est totalement faux. Des études ont au contraire montré que les jeux vidéo ont permis de baisser la violence dans les écoles. C'est aussi un outil utilisé dans les banlieues comme un outil de socialisation. Il faut faire attention à ce qu'on lit. Il y a très peu d’études très sérieuses. Je travaille pour PEGI, et on met en place des études internationales sur l'impact. Les Anglais ont fait des études pour montrer que le joueur de jeux vidéo est quelqu'un qui fait du sport, qui est plutôt bon à l'école. Il faut renverser la représentation que l'on a.


- A. Soumache : Je n'ai pas compris ce que vous disiez à propos de la dimension marchande des jeux ? La littérature n’est pas un univers marchand pour vous ? Je n’ai pas bien compris.

- M. Stora : Savez-vous que Dumas a été interdit au début car nous pensions qu'il allait faire des garçons violents ?

- A. Soumache : Aujourd'hui, jouer aux Lego ou acheter un livre, il y a un acte marchand. Il ne faut pas stigmatiser l'acte marchand avec la créativité. Je suis d'accord pour dire que dans le jeu vidéo, il n'y a pas assez d'auteurs, pas assez d'artistes. Tout le monde doit s'y mettre. Vous avez aussi intérêt à dire que c'est quelque chose d'intéressant pour que les gens se passionnent, que les artistes se l'approprient. Mais ne mélangez pas la dimension marchande avec l'expérience pour le monde des enfants. Car vous ne feriez quasiment rien chez vous.

- Une auditrice dans la salle : D'abord pour ma part, je voudrais parler en tant que joueuse, je travaille chez Ankama. Je joue depuis que j'ai 6 ans. Je ne suis pas quelqu'un de déséquilibré ou de violent. Je voudrais rassurer les parents. Mes parents ont su m’inculquer certaines valeurs que j'applique dans le jeu. Je veux parler de la solidarité dans les jeux en ligne, mais si le jeu est un défouloir pour l'agressivité, pour le moment de stress, cela fait du bien. J'ai toujours très bien vécu cela. Ma mère ne m'a jamais limitée. J'ai été tête de promo de l'école primaire à la faculté. J'ai su me limiter seule. Il y a moyen de ne pas devenir « no life », de continuer de voir sa famille. Je suis une fille, on dit souvent que les jeux vidéo aident pas mal à la spatialisation et je reconnais que c'est vrai. On diabolise beaucoup les jeux vidéo : c'est d'abord une part de l'éducation qui est importante. Ensuite, on dit que les jeux vidéo rendent accroc. Ce que je trouve intéressant, c'est que pour les jeux en ligne, les communautés sont développées et se rencontrent souvent dans ce que nous appelons des IRL. Nous nous rencontrons dans la vie réelle. Ce qui est important, c'est de se dire qu'à l'autre bout de la ligne, il y a quelqu'un qui aime la même chose. Nous nous rencontrons pour partager nos points communs. En ce moment, nous travaillons avec des médiathèques. Les enfants qui jouaient déjà à Dofus depuis chez eux viennent à la médiathèque pour jouer avec d'autres enfants dans la même salle. Ils s'entraident beaucoup et s'expliquent les choses. Il y a aussi le côté compétitivité. Mais ces enfants se regroupent autour du jeu. Ils ne sont pas seuls devant leurs ordinateurs. Il y a aussi des gens qui restent seuls, mais on peut aussi tisser des amitiés.

- N. Gaume : Ma première aventure entreprenariale, celle de Kalisto, s’est composée de gens que je connaissais très bien, que je fréquentais depuis 4-5 ans dans les ancêtres des MMORPG. Je ne les avais jamais rencontrés physiquement. Nous avons appris à travailler ensemble dans le virtuel. Cela fait maintenant vingt ans que nous continuons, jusque dans le groupe Lagardère.

- M. Stora : La rencontre en IRL est un très bon signe. Je le répète, les jeunes qui deviennent addicts au jeu, ce n'est pas le jeu qui est responsable, c'est déjà des jeunes qui n'allaient pas bien. C’est un « prozac » interactif. Ils vont trouver des choses que la société ne proposait pas, comme un cadre initiatique. Ce sont des adolescents, ils ne veulent pas être accompagnés. L'effet paradoxal, c'est que plus on diabolise cette culture, plus les ados aiment. Il y a de moins en moins d'espace de transgression dans notre société, le jeu vidéo représente un de ces lieux.

- N. Gaume : En Corée ou en Chine, ce sont des sociétés dictatoriale pour l’une et anxiogène pour l’autre... Aujourd'hui en Corée et en Chine, il y a un espace de liberté incroyable. Plus de 60% de la population est connectée sur un univers virtuel qui s'appelle « Cyworld ».

- A. Gintzburger : Rapidement si vous le voulez bien… Madame ? Monsieur…

- Un auditeur dans la salle : Bonjour, Paul Moulas, je travaille à la maison de Solenn. Je travaille comme Monsieur Stora sur des thérapies à partir des jeux vidéo. J'ai vu récemment qu'il y avait des casques interactifs qui étaient en train d'être créés. Je l'ai vu en Australie. Pensez-vous que le futur du jeu vidéo est un rapprochement avec la réalité? On n’arrivera plus à différencier la réalité de la virtualité?

- A. Soumache : Je ne pense pas. Quand vous regardez les recherches, avec la projection en relief sans lunettes, je pense que le cinéma et la projection d'images .... Finalement, nous sommes dans la projection d'images, et pas dans l’expérience de jeu ou pas de jeu. Je reviens à une base qui est : qu'est-ce que je vois, est-ce que c’est vrai ou pas ? Avec l'entrée en gare d'une locomotive dans la gare de La Ciotat filmée par les frères Lumière, les gens sortaient de la salle effrayés, pensant que la locomotive allait les écraser. Cela aujourd'hui nous fait rire. Aujourd'hui, nous sommes là juste dans une expérience visuelle, et c'est à vous de faire la part des choses. Il n’y a pas d’amalgame, il y en aura sûrement. Aujourd'hui, on pousse de plus en plus. Je vous invite à regarder à la maison les tests sur des écrans reliefs sans lunettes : c'est extraordinaire. C'est l'évolution du noir et blanc vers la couleur, de la couleur vers le relief, du relief vers la virtualité ou l’hologramme. Depuis toujours, l'image sert à projeter le réel. Après, aux artistes de se l'approprier et d'en faire des films magnifiques ou de beaux jeux vidéo. Cela n'a rien à voir avec le jeu vidéo en soi.

- A. Gintzburger : Une dernière question avant la table ronde suivante. Je ne vais pas pouvoir donner la parole à tout le monde.

- Une auditrice dans la salle : Bonjour, Diane Morel, scénariste de dessins animés. Je voudrais d'abord apporter un témoignage. Les jeux vidéo peuvent être perçus de manière positive, car moi aussi j'ai été bonne élève, j'ai beaucoup joué et j'ai survécu. Je voudrais parler du personnage de Lara Croft. Cela a été l'un des premiers personnages féminins auxquels garçons et filles ont pu s'identifier. Comme scénariste, j'ai pu voir la différence dans la représentation des femmes à travers la télévision ou au cinéma. Elles n'étaient plus potiches, mais sont devenues des femmes d'action. Cela a été amené par un jeu vidéo. Cela a été assez fort et positif.

Je voulais poser une question par rapport à l'idée du jeu vidéo d'auteur. Est-ce que cette notion n'est pas contradictoire avec ce qui a été dit sur le fait qu'il fallait développer des mondes virtuels en réseau qui soient très accueillants, poétiques et riants? Un peu sans aspérités, et pas choquants, et universels ? Alors qu'on voit aujourd'hui, un des seuls auteurs ayant signé un jeu vidéo d’auteur est Clive Barker, qui est le créateur de Hellraiser et de Candyman, et qui a dit qu’il l’avait fait parce qu’il ne pouvait plus s’exprimer…

- N. Gaume : il y en a eu d'autres. Spielberg est un grand passionné de jeux vidéo, il crée des jeux avec Electronic Arts de manière polémique.

- La même : c’est dire que les auteurs peuvent présenter des choses avec des aspérités et pas forcément un monde rose et souriant.

- N. Gaume : Il n’y a aucun doute sur le fait que les auteurs sont fondamentaux mais la création de jeux vidéo est d'abord un travail collectif, entre l’idée d’une personne qui manie l’écrit et une personne qui manie le dessin, donc technologiquement l’implémenter reprend une dynamique collective. Il y a un consensus, mais je pense que c’est moins d’auteurs que de producteurs capables de libérer les auteurs qui existent et qui travaillent de manière remarquable dont on a besoin. Le Ministère de la Culture a commencé à remettre des récompenses à des créateurs de jeux vidéo depuis deux ans. Un certain nombre de talents ont été mis en avant et présentés au grand public. Maintenant, il y a une réflexion à avoir par rapport à MMO qui me semble plus pertinente. Je crois que l’auteur du jeu MMO, c’est le joueur. Je vais au bout de ce que disait Mickäel : on ne fournit pas seulement un jeu, mais des outils pour créer des images, des données, voire façonner des lieux qui vont avoir une vie au-delà de l’expérience du joueur, et qui vont rester permanents pour l’ensemble des joueurs. C'est cette dynamique collective que je trouve intéressante. On touche des vrais sujets d'intelligence collective, de dynamique, de création.

- M. Stora : Je suis d'accord sur la question de jeux vidéo d'auteur. J'ai été consultant pour Ubisoft, ils ont fait exprès de prendre un psychanalyste : ils s'autorégulent. Vous évoquez la question de la violence. Les éditeurs et les développeurs eux-mêmes s'interdisent des choses. Ils avaient des projets ambitieux. Je leur ai dit : au contraire, allez-y, ce n'est qu'un jeu. Des jeux comme « Ico » évoquent des bons sentiments, mais en même temps, c'est un jeu qui propose des émotions nouvelles.

- A. Soumache : Je n'ai pas compris pourquoi la notion d'universalité est antinomique avec la notion d'auteur? Walt Disney est un auteur. Derrière « Dofus », il y a un vrai bonhomme derrière. Il y a un auteur. Des auteurs, il y en a partout. Même dans des jeux qui génèrent des millions de connexions ou des projets plus restreints.

- A. Gintzburger : Vous avez tous les trois considéré que « Ico » était l'un des jeux vidéos les plus correspondants aux valeurs que les parents ont envie d'inculquer à leurs enfants. Nous allons regarder un petit extrait. C'est Mickaël Stora qui nous l'a apporté…


Diffusion d’un extrait vidéo


- N. Gaume : Je réagis, car quand on voit ces images, elles ne sont pas différentes d'autres jeux qu'on a vus. Ce qui est intéressant dans ce jeu, c'est le rapport au temps. Ici, il y a une appropriation du temps, et un beau travail sur le son. C’est un univers onirique. C'est un jeu qui est très marquant là-dessus.

- A. Soumache : Voici la preuve qu'un jeu vidéo ne se regarde pas.

- A. Gintzburger : Monsieur voulait poser une question...

- Un auditeur dans la salle : Christian Gautellier, je suis vice-président du CIEM. Il faut resituer de quoi nous parlons au niveau de la production de jeux vidéo. Nous avons mis en place un prix qui s'appelle le prix média jeunesse. L'objectif est de promouvoir des actions et des contenus pour les jeunes de qualité. L'année dernière, nous avons dit nous allons regarder l'univers des jeux vidéo. Nous travaillons avec une association qui s'appelle Positive Play. Elle a pour objectif de revaloriser l'image du jeu vidéo. Vous ne pourrez pas me dire que j'ai une approche négative. Nous avons primé « Dofus ». Nous avons identifié dans ce jeu-là un certain nombre de valeurs qui correspondaient à ce que nous pouvions promouvoir. Mais cette production-là, ce n'est pas la production majoritaire, ce n'est pas la production dominante, quand on regarde le top 10 des jeux vidéo les plus consommés. Les critères du prix média jeunesse, notre présidente y était attachée, c’était de regarder les créations françaises. Dans les productions françaises, il faut préciser qu'elles sont peu nombreuses, il faut savoir de quoi on parle. L'univers qui est proposé aux enfants et aux jeunes sur des jeux vidéo est essentiellement un univers anglo-saxon. Il ne correspond pas à la culture française ni à la culture européenne. Il faut donc savoir de quoi on parle. Là, nous aurions l'impression que l'univers des jeux vidéo dans ce cas est ce que vous avez décrit. Ce n'est pas ce que consomment les jeunes. Ce sont des jeux de bastons, très liés au sport, aux courses automobiles.

- A. Gintzburger : Je crois que nos invités au contraire font référence à des jeux qui n'étaient pas si nombreux que ça.

- Le même : Et vous renvoyez tout le temps la question des parents. Les parents n'ont pas cette question à gérer. Est-ce qu'il y a une critique du grand public qui permet aux parents d'avoir des repères sur les lignes éditoriales des jeux vidéo ? Est-ce qu'il y a des critiques qui sortent de la logique de marché? Ce dont on parle aujourd'hui, c'est 5 ou 10% de la consommation et de l'offre des jeux vidéo. Quand vous dites que la dimension marchande... Vous avez ironisé, mais la production de la plupart des jeux vidéo coûte extrêmement chère. Cette dimension économique, elle pèse sur les contenus. C'est comme si nous parlions aujourd'hui de la télévision, en ne parlant que d’Arte. On sait bien qu'en télévision, c'est qui est majoritaire, c’est TF1 et d’autres chaînes. Il faut donner cette information et resituer les discours. Nous, dans notre association d’éducateurs, association familiale, nous devons accompagner les familles qui sont confrontées à des offres télévisuelles multiples. Elles n'ont pas forcément les outils, ni dans leurs formations, ni dans leur culture, qui permettent d’offrir un véritable choix à leurs enfants. Comme ils n'ont pas de choix, ils consomment de l'image, du TF1, des productions anglo-saxonnes, etc...

- N. Gaume : Nous avons un système qui s’appelle PEGI, avec un système d'âge et de pictogrammes sur chaque boite de jeu, pour savoir s’il y a de la violence ou pas. Nous avons un certain nombre de mesures qui sont prises. Quant à l'état de l'industrie et de la production, nous savons qu'il est calamiteux mais c’est un autre débat.

- A. Gintzburger : Pour refermer ce chapitre-là, ce qui s'est dit depuis ce matin, ce n'est pas de dresser les parents contre les producteurs, ou les parents contre les enfants. Il faut chercher ensemble des voies qui permettent ensemble, en famille, même s'il est effectivement techniquement nous ne sommes pas toujours, nous les adultes, en mesure de partager, d'accompagner nos enfants. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut faire mieux. C'était le sens de l'intervention de nos invités ici qui sollicitent des auteurs pour produire des jeux vidéo français. Je vous remercie beaucoup tous les trois. Nous voyons bien que ce sont des sujets qui suscitent de l'intérêt et de la passion. C'est le but de cette journée. Je propose aux trois invités suivants de nous rejoindre. Nous allons parler d'éducation par le virtuel avec Karine Leyzin, Imad Bejani et Henri Verdier mais avant cela, nous allons regarder un petit clip.

Diffusion d’un clip

- La télé, ça ne sert pas à travailler. La télé, ça sert à s'amuser et aussi à faire passer le temps si on s'ennuie.

- Ce qui m'épate, c'est que les enfants sont de plus en plus à l'aise avec l'informatique. Je me rappelle de moi, quand j'ai découvert l'informatique à l'école, on avait tous très très peur de cliquer sur la souris ou d'appuyer sur une touche. Maintenant, ils ont compris que c'était fait pour être manipulé.

- Si je vais sur Internet, moi, ce n'est pas pour regarder ...

- Mais ça dépend si tu y vas pour faire un exposé, ou pour jouer.

- Mais si tu y vas de ton plein gré, ce n'est pas comme quand tu y vas pour l'école. Tu ne vas pas voir des émissions scientifiques ou je ne sais pas quoi...

- Dès fois à la maison, j'ai des devoirs à faire sur Internet. On peut y aller pour s'amuser comme des fois pour chercher des trucs intéressants. De temps en temps pour les devoirs en classe. Au lieu d'utiliser le dictionnaire, j'utilise Internet.

- Le jeu auquel on joue, la seule chose que cela peut nous apporter, comme c'est un jeu basé sur la stratégie, c'est d’entraîner le cerveau à être logique. Développer notre raisonnement logique. Mais sinon, non, c'est purement de la distraction.

- On utilise des ordinateurs des fois pour nous apprendre des choses, comme utiliser Internet, comment se servir d'une adresse email, des trucs comme ça. Mais moi, je sais déjà tout ça. Alors, je fais comme si je recommençais.


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